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Rodin : la masturbation comme exercice spirituel

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Les 121 dessins cachés de Rodin : tout le monde en a entendu parler. Le «musée secret» du sculpteur est, pour la première fois, intégralement publié dans un ouvrage qui en dévoile la portée historique. Ces dessins relèvent d’une pratique nouvelle.
Pendant les dix dernières années de sa vie, Rodin (1840-1917) fait venir chaque jour chez lui des femmes qu’il saisit sur le vif, nues, et dont il dessine avec frénésie les postures animales… Parmi ces milliers de dessins, il en séquestre 121 dans ce qu’il nomme son «musée secret» et qu’il cache, trop inquiet du scandale que ces images pourraient causer : des gribouillis obscènes, au regard de l’époque. Aujourd’hui enfin révélés, ces croquis et ces aquarelles sont présentés –dans un ouvrage signé par Nadine Lehni (ex-conservateur du musée Rodin)– comme des oeuvres dont la liberté dessine «les fondements des modernismes du XXème siècle.» 
Quel intérêt présentent ces esquisses ?
Il faut les restituer dans le contexte pour en saisir l’importance, explique Nadine Lehni. Nous sommes à la fin des années 1890, «Auguste Rodin est un sculpteur reconnu dont la gloire dépasse largement les frontières de son pays.» C’est alors, à l’âge de près de soixante ans, qu’il convoque des modèles afin qu’elles se promènent nues devant lui. A cette époque, il est d’usage que les sujets soient placés sur une estrade, dans une position assise ou allongée promettant de rester immobile plusieurs heures de suite, afin que l’artiste puisse peaufiner tous les détails anatomiques. Rompant avec cette habitude, Rodin s’efforce d’attraper des «instantanés» et se lance, frénétiquement, dans la capture du mouvement comme dans un exercice d’ascèse : vite, vite, toujours plus vite, jusqu’à ne même plus regarder la feuille. Au début, ainsi qu’il l’avoue à demi-mots, Rodin demande aux femmes de simplement se mettre nues, lever les bras ou se pencher. Puis de bouger. Puis de se mettre à quatre pattes, d’écarter les jambes, de s’écarteler le corps… de se masturber. 
Ce que le mot «nature» signifie : le sexe nu
«Cela ne m’est pas venu tout d’un coup, reconnaît l’artiste en 1902, j’ai osé tout doucement, j’avais peur ; et puis, peu à peu, devant la nature, à mesure que je comprenais mieux et rejetais plus franchement les préjugés pour l’aimer, je me suis décidé, j’ai essayé»… La «nature», c’est le nu, explique Nadine Lehni. La nature c’est-à-dire «la proximité troublante des modèles, devant lesquels “il se plaît à s’isoler”, s’impose à Rodin à la façon d’une exigence absolue.» Essayant de fixer un geste dont la «justesse» le frappe, il se concentre sur la vie même, saisie à son degré d’intensité le plus haut… Parmi les 121 dessins, beaucoup montrent une femme dont la main bouge entre les cuisses. De façon très révélatrice, une vingtaine de ces croquis portent le titre : «Avant la création» ou «La création». «L’un d’eux est si proche de L’Origine du monde de Courbet […] qu’il est tentant de penser que Rodin en eut une description précise. Peut-être son initiateur fut-il son ami Edmond de Goncourt (1) qui fut l’un des rares à voir ce tableau, le 29 juin 1889 ?»
Les proches de Rodin sont-ils au courant ? 
La nouveauté du procédé n’est pas sans provoquer des remous. Le 20 février 1898, le journaliste Maurice Guillemot écrit dans la revue Gil Blas (2): «Il demande à ses modèles une espèce de présence animale et de paradis en mouvement sans la contrainte de la pose.» Le propos est allusif. De façon très révélatrice, à quelques 1235 kilomètres de là, dans la ville de Vienne, un autre grand peintre va bientôt demander à des modèles qu’elles viennent s’installer chez lui, qu’elles évoluent nues dans son atelier, qu’elles se caressent, qu’elles se fassent jouir, constamment disponibles pour le «maître». Le critique d’art Franz Servaes en est le témoin : Klimt «était entouré de créatures féminines dénudées et mystérieuses. Pendant qu’il se tenait silencieux devant son chevalet, elles flânaient, toujours prêtes à obéir aux ordres du Maître et à se tenir dans la pose ou le mouvement qu’il avait aperçu et qui avait touché son sens de la beauté. Il capturait ensuite par un dessin rapide la grâce de ce mouvement.» Klimt, comme Rodin, accorde une attention extrême aux gestes du plaisir. 
Rodin : c’est Bergson version image
Dans son «laboratoire de consommation sur le vif» (4), Rodin transforme ses modèles en spécimen étranges. Il n’y a pas d’histoire dans ses dessins, ni même de personnage. Créature purement sexuelle, réduite bien souvent à sa paire de cuisses béantes, la femme sans tête qu’il croque en quelques traits n’est plus qu’un principe de vie, un instinct libéré. Ce que Rodin préfigure en image, c’est la notion même de «pulsion», un mot dont Freud s’empare vers 1900, juste après que Rodin expose à Vienne 120 dessins, dont Kokoschka s’inspire par la suite pour faire ses aquarelles de nu. Ce que Rodin illustre, c’est aussi une nouvelle conception du réel, ramené à une succession d’instants perçus dans leur fulgurance. Lorsqu’il inaugure cette pratique inédite qu’on pourrait appeler le «dessin de nu-flash», Rodin «semble faire écho à la pensée d’Henri Bergson qui vient de jeter les bases d’une philosophie originale et novatrice dans Les Données immédiates de la conscience publiées en 1889 : le philosophe y affirme l’immédiateté de l’intuition contre le primat des opérations de l’intelligence.» Dans l’atelier de Rodin, on ne pense plus. On prend la vie en plein dans les yeux.
..
NOTES
(1) Edmond de Goncourt affirme avoir vu ce tableau chez un marchand parisien d’art d’Extrême-Orient, Antoine de La Narde. Ce tableau fut dérobé au regard public jusqu’à son entrée au musée d’Orsay en 1995.
(2) Dans un article intitulé «A travers la vie».
(3) «À l’hôtel de Biron, écrit l’un de ses proches en 1911, Rodin passe presque tout son temps à dessiner. Dans cette retraite monastique, il se plaît à s’isoler devant la nudité de belles jeunes femmes et à consigner en d’innombrables esquisses au crayon les souples attitudes qu’elles prennent devant lui.» (Source : Auguste Rodin, L’Art. Entretiens réunis par Paul Gsell, Paris, Bernard Grasset, 1911, p. 146).
(4) Citation de Philippe Sollers : «Écrire la sculpture», in Rodin et la sculpture contemporaine, compte rendu du colloque organisé par le musée Rodin du 11 au 15 octobre 1982, éditions du musée Rodin, 1983, p. 216.
 


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