Dans la nuit du lundi 27 au mardi 28 février dernier, deux commissariats situés dans la province du Soum, près de la frontière malienne, ont été la cible d’attaques quasi-simultanées de djihadistes. L’attaque a fait un blessé et de nombreux dégâts matériels, et a été revendiquée par le groupe Ansaroul Islam dirigé par le sinistre Malam Dicko. Baraboulé et Tongomayel sont les localités qui abritent les commissariats attaqués. Une source sécuritaire explique que l’attaque à Baraboulé est « l’œuvre d’une dizaine de djihadistes arrivés sur six motos ». En attendant d’avoir plus de détails afin de mieux cerner les tenants et les aboutissants des deux attaques, l’on peut faire trois constats majeurs. Le premier est qu’elles sont intervenues pendant que le pays est en train de dérouler la 25e édition du FESPACO. Le moment choisi donc par les « fou de Dieu » est, on ne peut plus parlant. Ils entendent d’abord par là semer la psychose au sein des cinéphiles en général et en particulier au sein des festivaliers et festivalières venus d’Afrique et d’ailleurs pour célébrer le cinéma africain.
Le Nord du Burkina est devenu une véritable zone de turbulences
Il faut signaler en passant, qu’aux yeux de ces illuminés, le cinéma, à l’instar des autres œuvres de l’esprit, est un support du péché. C’est cette idéologie qui sous-tend les ressorts criminels des militants de la secte islamiste Boko Haram au Nigeria. Bref, cinéma pour eux rime avec Satan et souillure. En frappant donc le Burkina en plein FESPACO, les djihadistes nourrissent le dessein de ravir la vedette à la fête du cinéma. Et l’on sait ce que représente la propagande pour la galaxie des djihadistes. Ils la consomment sans modération, à l’effet de manipuler les esprits et de diffuser leur message de haine et d’intolérance. C’est pourquoi ils sont à l’affût des dates emblématiques pour passer à l’action. Toute chose qui apporte plus d’intensité et de gravité à l’émotion des populations. Le deuxième constat est lié à l’espace où les attaques se sont produites. En effet, depuis 2016, à l’exception des attaques de Ouagadougou et de Samorogouan, toutes les autres se sont produites au Nord du Burkina et plus particulièrement dans la province du Soum. Pour emprunter au vocabulaire de l’aviation, l’on peut dire que cette partie du Burkina est devenue, du fait des terroristes, une véritable zone de turbulences. C’est avec la peur au ventre que l’on s’y aventure. Ce sentiment est d’autant plus justifié que les djihadistes qui y sévissent semblent avoir le contrôle de la situation. Ils frappent quand et comme ils veulent, et se retirent après leur forfait au pas de sénateur. La défiance est donc totale vis-à-vis de l’Etat burkinabè. Et c’est après tout cela que les forces de l’ordre, appelées en renfort, arrivent pour constater les dégâts. Et cette posture immuable de médecin après la mort n’est pas pour rassurer les Burkinabè. Le troisième et dernier constat que l’on peut faire à propos des deux attaques qui viennent de frapper le Soum, c’est qu’elles se sont produites alors que Roch Marc Christian Kaboré vient de réajuster légèrement son gouvernement. A cette occasion, il s’est déchargé du maroquin de la Défense pour le confier à Jean-Claude Bouda. Ce dernier, à l’occasion de sa prise de fonction, de façon martiale et péremptoire, avait déclaré ceci : « les terroriste seront terrorisés ». Avec ce qui vient de se passer à Tongomaël et à Baraboulé, l’on peut être tenté de se poser la question de savoir qui a terrorisé qui. A l’occasion du même remaniement, un ministère entier a été consacré à la Sécurité pour plus d’efficacité, dit-on. Cela reste encore à prouver, avec les deux attaques.
L’Etat doit tirer toutes les leçons qu’impose la situation
De tout ce qui précède, l’on peut affirmer que le phénomène djihadiste au Soum, loin d’être du cinéma, c’est-à-dire de la fiction, est une réalité vécue au quotidien par tous ceux qui vivent dans cette partie du Burkina. En sans jouer les Cassandre, l’on peut se risquer à dire que les djihadistes sont en passe d’en faire leur sanctuaire voire leur paradis. Et cette triste réalité ne doit pas être dissimulée. Bien au contraire, l’Etat doit en prendre conscience et tirer toutes les leçons qu’impose la situation. De ce point de vue, l’on peut se permettre de suggérer les mesures suivantes. La première est la mise en place de patrouilles mixtes. Cela aura l’avantage de dissuader les terroristes et de rassurer les populations. L’autre avantage est que, du même coup, le droit de poursuite des assaillants en territoire malien ou nigérien, s’en trouvera facilité. La deuxième mesure à envisager, est d’installer dans les endroits objets d’attaques récurrentes, des unités militaires formées à la lutte contre le terrorisme. Une telle initiative de proximité pourrait permettre de se départir de la posture du médecin après la mort. La troisième et dernière mesure est de repenser le système de renseignements du pays. Car, l’on peut avoir l’impression que c’est à ce niveau que le bât blesse le plus. Sans être dans les secrets des dieux, l’on a le sentiment que le système de renseignements, s’il en existe un, souffre de manque de moyens. En plus, il faut que les populations soient mises dans des disposions où elles ne courent aucun risque à collaborer avec les autorités. Car, l’on garde encore en mémoire le triste sort qui a été réservé à ce conseiller municipal et à son enfant. Se sentant, en effet, menacé de mort pour avoir filé des informations à l’autorité, l’infortuné s’était réfugié à Titao dans le Lorum. Malgré tout, il n’a pu sauver sa tête. Comment veut-on alors que dans ces conditions, les populations se prêtent à la collaboration, peut-on s’interroger ? Et ce n’est pas tout. Dans cette partie du Burkina, les populations se méfient des corps habillés. L’expression qu’elles utilisent pour les désigner, est la suivante : « Les gens aux grosses chaussures ». Cette méfiance tire ses origines de l’époque coloniale dont la principale caractéristique a été la spoliation et la répression des populations locales par les gardes républicains. L’administration des indépendances qui a succédé à celle coloniale, n’a pas fondamentalement changé de posture. De ce fait, si l’on veut déconstruire cette image de l’Administration, il faut absolument que tous les agents de l’Etat en général et les corps habillés en particulier, qui officient dans ces zones, fassent beaucoup plus dans la pédagogie que dans la répression. En attendant que toutes ces mesures soient mises en œuvre, l’heure est aujourd’hui à tout faire pour que les djihadistes ne s’invitent pas à la 25e édition du FESPACO. Il est vrai, des mesures sont déjà prises pour les dissuader de s’aventurer du côté de Ouagadougou. Mais avec ces gens là, sait-on jamais ?
« Le Pays »