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Instrumentalisation politique de l’identité nationale en Côte d’Ivoire

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Dans ses mémoires, le général Charles de Gaulle considère Félix-Houphouët-Boigny comme un « cerveau politique de premier ordre ». Par les grâces de cette qualité supérieure, le père fondateur de la nation ivoirienne réussit à offrir à la Côte d’Ivoire une croissance si exceptionnelle que les observateurs politiques les plus avertis ne manquèrent pas de parler de « miracle économique ivoirien ». Ce miracle est vécu sous signe d’une stabilité sociale exemplaire qui fit de la Côte d’Ivoire un havre de paix où différentes ethnies et nationalités vivaient en harmonie. C’est alors que Bédié vint : pour bousiller l’héritage du père à travers son idéologie de l’ivoirité. Alors que l’honorable père était reconnu par tous pour être une figure remarquable dotée d’un destin hors pair, celui qui le succéda en tant que dauphin constitutionnel restera à jamais inscrit dans la mémoire populaire comme l’incarnation de son anti-destin : le dauphin de la disgrâce, dont la politique d’exclusion exposa le pays aux rivalités ethniques et à l’instabilité sociale. Toutes choses négatives qu’Houphouët-Boigny avait réussi à épargner à la Côte d’Ivoire, mais que le dauphin (une fois devenu président) s’est appliqué à imposer à la nation avec sa trouvaille ethnocidaire concoctée pour étouffer les ambitions présidentielles d’Alassane Ouattara, sous le boisseau du mythe de l’ivoirien pur-sang. Un mythe qui nous a malheureusement légué en héritage le malaise de vivre dans la suspicion et le sentiment d’hostilité envers l’autre.
 
 
Après avoir rencontré Laurent Gbagbo à Bruxelles, le lundi 29 juillet, Henri Konan Bédié a été reçu sur les plateaux de TV5 Monde. Au cours de l’interview télévisée, il a été confronté à cette question rhétorique du journaliste Xavier Lambrechts: « Alassane Ouattara est Ivoirien, évidemment ? » Question à laquelle Bédié a répondu, en ces termes : « Oui, puisque je l’ai soutenu pour être Président de la République ». Ce qui est ironique dans cette affaire, c’est que la nationalité de Ouattara semble évoluée selon les variations humorales liées aux prises de position politiques de Bédié : Alassane n’était pas Ivoirien, quand il n’avait pas « le soutien » de Bédié ; mais il a miraculeusement recouvré son droit de citoyenneté aussitôt que le sphinx de Daoukro a daigné lui consacrer l’onction de sa bénédiction politique. Dans le contexte politique actuel, où le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) est désespérément en quête d’alliance pour parer à sa lente mais irréversible déconfiture, et pour constituer une pseudo-plate-forme de l’opposition contre le Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), le concept d'ivoirité a resurgi à la faveur du discours d’Henri Konan Bédié accusant le régime politique en place de « faire venir clandestinement des étrangers » pour servir potentiellement de bétail électoral.
 
 
Si les activités de « l’orpaillage clandestin » ont servi de prétexte à cette accusation farfelue, car non fondée sur des faits crédibles, il convient de relever que l’objectif principal de Bédié réside, cette fois-ci, ailleurs : délégitimer la masse de la citoyenneté électorale du Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix, en jetant l’opprobre sur les groupes ethniques assimilées idéologiquement aux gens du nord qui constituent (en partie et seulement en partie) une composante essentielle de l’électorat du RHDP. Cette composante correspond pour Bédié à de faux électeurs qu’il souhaiterait certainement voir écarter du processus électoral, de la même façon qu’il a essayé dans le passé d’exclure Ouattara de la course aux présidentielles, avant de faire contre mauvaise fortune bon cœur avec le leader adoubé du Rassemblement des Républicains (RDR) devenu depuis le Président du RHDP. Mais le parcours politique de Bédié a depuis évolué sous les contraintes d’une nouvelle exigence inscrite dans ces propos tendancieux : « Si c’est pour venir fausser les élections de 2020, nous voulons le savoir ». Sa nouvelle stratégie politique ne serait plus orientée directement contre Ouattara, car « je ne parle pas d’une alliance contre quelqu’un » (Bédié, Interview, TV5 Monde). Or personne n’est dupe :  Ouattara demeure la cible à abattre, politiquement s’entend. Tout Sauf Ouattara, diraient les plus irréductibles. Ceux qui sont aveuglés par une haine si maladive qu’elle les empêche de voir les grands travaux d’envergure quele chef de l'Etat ivoirien mène résolument pour la reconstruction nationale, en même temps qu’il intensifie le programme social du gouvernement qui vise « à fournir aux populations des services de santé efficients, à faciliter l’accès et le maintien des enfants  à l’école, à favoriser l’accès à un coût abordable des populations aux services essentiels tels que le logement, l’énergie, l’eau potable et le transport, et à améliorer l’employabilité ainsi que l’accès à un emploi décent et stable pour les jeunes et les femmes ». Et plus encore…
 
Sans doute : les voies qui mènent au développement durable sont toujours parsemés d’embûches et de défis que le gouvernement du Premier ministre Gon Coulibaly s’ingénie à relever dans le souci bien compris de rendre véritablement inclusive la fameuse croissance qui devrait un jour favoriser l’accession de la Côte d’Ivoire au rang de pays émergent. Au lieu de proposer un programme alternatif qui permettrait de faire davantage face aux enjeux décisifs de l’avenir, l’opposition bric-à-brac que Bédié et ses comparses tentent de mettre en place dans un effort de rafistolage idéologique préfère faire ses choux gras des inepties de l’ivoirité qui prospèrent sous les coups de boutoir d’une discrimination identitaire exercée contre tous ceux qui osent revendiquer une once d’appartenance au prétendu « mauvais camp » représenté par le Président Ouattara. En raison même de cette appartenance, de nombreux partisans du Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix sont enfermés dans la catégorie d’étrangers (d’origine burkinabé, malienne, ou encore guinéenne), qu’il faut à tout prix rejeter hors du domaine politique exclusivement réservé aux vrais Ivoiriens. Cette exclusion est d’autant plus impérative que ceux qui vouent une attirance compulsionnelle pour l’ivoirité soupçonnent, voire accusent le pouvoir en place de vouloir se servir des étrangers pour orchestrer une fraude électorale, afin de ravir aux « Ivoiriens de souche multiséculaire » la victoire aux prochaines élections présidentielles de 2020.
 
Evidemment, cet Ivoirien authentique se trouve doctrinairement logé dans le «  bon camp » de tous ceux qui travaillent à la création d'une alliance politique qui permettrait de déboulonner le régime en placeDe Sam l’Africain à Yasmina Ouégnin en passant parThierry Tanoh, de Mamadou Koulibaly à Danielle Boni-Claverie en passant par Jean-Louis Billon et consorts, « les symboles achevés du vrai Ivoirien » dansent dorénavant sur la plate-forme de l’opposition qu’incarnent les figures tutélaires d’Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. Faut-il relever, par ailleurs, que pour les chantres de l’ivoirité, Tara Gueye, la Miss Côte d’Ivoire 2019 ne mérite pas de figurer au tableau d’honneur de ces Ivoiriens bon teint ?  Souvenons-nous, en effet, qu’ils ont « décrété » qu’elle estinapte à représenter la Côte d’Ivoire, en raison de son de patronyme sénégalais. Or Tara Gueye est Ivoirienne, comme sa mère, même si son père est Sénégalais. Ces considérations auraient-elles vraiment donné matière à polémique sur les réseaux sociaux si les thuriféraires de l’Ivoirité avaient réussi- bien auparavant- à établir des accointances (d’ordre familial ou ethnique) entre la nouvelle reine de la beauté et les gens de leur bord politique où se recrutent, paraît-il, les Ivoiriens bon teint, à l’image de Sam l’Africain et ses compagnons de bronze, ou de ces métèques nés en Côte d’Ivoire ou sur d’autres rives : donc bi-nationaux ? 
 
L’observation intéressante qui s’impose face à cette interrogation est celle-ci : l’ivoirité est une argumentation pernicieuse qui fonctionne par l’absurde. C’est pourtant sous le signe de cette absurdité que ses chantres s’égosillent à établir un principe d’hiérarchie entre le national et l’étranger. Dans cette opposition de principe entre deux classes d’individus, l’ivoirité est devenu le paradigme d’un double rapport social et politique qui pue la fiente raciste de ceux qui cultivent la politique de l’intolérance et de la xénophobie, faisant ainsi frémir de nausée les narines des esprits saints. Je ne peux m’empêcher d’évoquer ces niaiseries de la politique de l’identité sans songer aux pertinents propos que George Bailly a tenus sur « bons étrangers » versus « mauvais étrangers », lorsqu’il affirmait ceci, avec une lucidité déconcertante: « Etranger en Côte d'ivoire ça dépend du camp auquel tu appartiens! …Vous remarquez que depuis que Bédié et ouattara ne s'accordent plus, certains militants du PDCI redécouvrent pleins d'étrangers dans le pays comme s'il y avait eu une pluie d'étrangers après la cassure du RHDP! tout est politique! c'est la politique qui a mis ce pays en guerre et en retard et c'est encore la politique qui va le ramener à terre si le Bon Dieu lui-même ne vient pas siffler la fin de cette grosse plaisanterie !! ».
 
Ces propos sont d’une brûlante actualité que nous devons tous méditer dans la perspective de faire l’économie d’une autre guerre civile. Pour cela, il nous faut éviter de tomber dans les pièges de la ruse politique qui constitue une trappe ouverte sur la manipulation idéologique de l’identitaire. L’ivoirité a sa part de responsabilité meurtrière dans la fameuse crise postélectorale qui s’est soldée par la mort de quelques 3000 personnes. Armons-nous de vigilance et de lucidité pour ne plus lui donner la moindre chance de remettre en péril ce pays-nôtre, en le faisant basculer dans une autre forme d’ensauvagement provoquée par des antagonismes ethniques. Sachons donc prendre de la hauteur pour refouler toutes formes de « politique suprématiste » se revendiquant d’une supériorité ethnique qui pourrait de nouveau exposer notre chère patrie aux avatars des Identités Meurtrières(Amin Maalouf). Prévenons, en conséquence, l’irréversible avant que chaque membre de notre cité-ivoire ne devienne, au sens négatif, « étranger à lui-même », et que chaque citadin, voire chaque membre famille ne devienne inexorablement un étranger pour l’autre confronté à l’isolement dans son propre désert intérieur. C’est à ce prix que nous parviendrons à sauver ce qui reste encore de racines à notre fragile sens de « l’hominité » (Michel, Serres, Eclaircissements). Cela concerne aussi « les belligérants à l’exclusion », même si certains d’entre eux demeureront à jamais les tristes reflets d’une Espérance déchue : mystères et misères de la Rédemption dont ils ne sont plus que l’ombre funeste.
 David Kambiré
Analyste Politique -New York, USA
 
 



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