Dans l’art de gouverner sous la Ve République, il est une discipline extrêmement périlleuse qui consiste à élaborer les intitulés des ministères du gouvernement, qui doivent refléter la surface de leur périmètre d’action, le scope comme on dirait dans le privé.
Le remaniement opéré ce jeudi 11 février, dont la portée politique est encore floue –trois écologistes, Jean-Vincent Placé, Barbara Pompili et Emmanuelle Cosse entrent au gouvernement– procure néanmoins l'habituel plaisir de se pencher sur les arbitrages langagiers qui traduisent les difficultés quotidiennes d'un gouvernement à contenter tout le monde –tâche évidemment impossible.
À l'exception de Jean-Marc Ayrault qui succède à Laurent Fabius comme ministre des Affaires étrangères et du Développement international, les grosses huiles qui chapeautent les principales Business Units du gouvernement et leurs attributions restent inchangées: cela concerne la Défense; l’Économie, l’Industrie et le Numérique; l’Éducation nationale, l’Enseignement supérieur et la Recherche, l'Intérieur: les Finances et les Comptes publics (où sont reconduits respectivement Jean-Yves Le Drian, Emmanuel Macron, Najat Vallaud-Belkacem, Bernard Cazeneuve et Michel Sapin).
Ségolène Royal, elle, grappille la chefferie de projet sur «les relations internationales sur le climat» en plus de son ancien périmètre environnemental et «la mer» se hisse au niveau ministériel, au détriment toutefois de la mention du «développement durable», durabilité qui est désormais l'apanage de l'habitat (voir plus bas). Il faut admettre que l'expression est datée et sonne terriblement années 2000 (Roselyne Bachelot était déjà porteuse en 2002 de cette lourde responsabilité vis à vis des-générations-futures). Ou peut-être que le succès de Laurent Fabius à la manœuvre lors des négociations de la COP21 suffit à considérer que le dossier est clos pour les deux millénaires à venir.
Innovations lexicales et changements chargés de symboles
En revanche, ça «bouge» –avec une prudence toute hollandienne– dans d’autres ministères, dont les nouveaux intitulés semblent vouloir jouer avec nos nerfs dans une sorte de jeu des sept différences sadiques. Pourquoi le radical Jean-Michel Baylet qui enfile le dossard jusque-là occupé par Sylvia Pinel se voit-il nommé à la tête d’un ministère de l’Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales au lieu d’un ministère du Logement, de l'Égalité des territoires et de la Ruralité qu’occupait Pinel jusque-là? Est-ce pour ouvrir le jeu et faire une place à Emmanuelle Cosse, la cheffe des écologistes gentils (compatibles avec le couple Hollande-Valls) qui écope donc du Logement orphelin mais s’attèlera aussi à «l’Habitat durable» (pourquoi durable? Il était éphémère jusqu’à présent et personne ne nous avait averti?)
Et que dire de la recomposition du grand pôle familial-social, qui était dirigé par Marisol Touraine en qualité de ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes? Sous l’égide de ce ministère étaient regroupées trois secrétaires d’État, la première chargée de la Famille, de l’Enfance, des Personnes âgées et de l’Autonomie (Laurence Rossignol), la deuxième des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion (Ségolène Neuville) et la troisième des Droits des femmes (Pascale Boistard).
Dans le nouveau trombinoscope, deux secrétaires d’État, Ségolène Neuville, désormais en charge des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion et Pascale Boistard, chargée des Personnes âgées et de l'Autonomie, sont rattachées à Touraine, dorénavant ministre des Affaires sociales et de la Santé. Conséquence, une promotion pour Laurence Rossignol qui prend la tête d’un ministère de plein droit chargée de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes. Dans ce jeu de bonneteau, la famille monte en gamme en étant citée dans un intitulé de ministère, alors que les droits des femmes perdent un secrétariat d’État dédié. Ce tripatouillage fait d’ailleurs déjà réagir les féministes qui questionnent les rapprochements symboliques ainsi opérés.
Au rayon des créations de poste dont le candidat devra définir le périmètre, on note la nomination d’Ericka Bareigts, secrétaire d’État qui aura fort à faire pour parvenir à l’«Égalité réelle» dont elle a la charge, sans s’arrêter à l’illusoire. Juliette Méadel est nommée au poste de secrétaire d’État de l'Aide aux victimes –des précédents gouvernements? Un éphémère secrétariat d'État similaire avait été instauré sous le gouvernement Raffarin 3, et a été réactivé pour les raisons que l'on imagine.
Publié le :
7 décembre 2018Par:
Forestier de Lahou