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Societe

Mamoudou Gassama, révélateur d’un paradoxe démocratique

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La semaine dernière, je vous parlais des failles de la démocratie et j’évoquais la tension entre le besoin d’égalité et le besoin de hiérarchie. L’une des modalités de cette tension, en particulier en France, c’est le « mérite ».

Une question qui agite la philosophie depuis l’Antiquité, c’est : « Qu’est-ce que la Justice ? » Est-ce donner la même chose à chacun ? Est-ce donner à chacun selon ses besoins ? Ou bien selon son mérite ? Est-ce que celui qui s’illustre d’une manière ou d’une autre « vaut » plus que les autres ?

L’exemple de Mamoudou Gassama

En sauvant un enfant, samedi 26 mai, Mamoudou Gassama est passé de travailleur malien sans papiers, avec toute la précarité et les difficultés que cela implique, au statut de « héros ». La classe politique, quasi unanimement, l’a félicité. Le président de la République lui a offert la naturalisation et un service civique (pas un CDI, faut pas exagérer quand même). Lundi 28 mai, sur Franceinfo, Alexis Corbière, député La France insoumise, a déclaré que « son geste […] au sens philosophique du mot, le rend français ». Notre héros a fait le tour des plateaux de télévision, y compris celui de Cyril Hanouna ; tout le monde en a parlé, mais ça n’a duré que quelques jours. A l’heure de l’information en continu, l’héroïsme est chose bien éphémère…
Je ne souhaite pas revenir sur la disproportion entre ces honneurs (aussi mérités soient-ils) et les conditions de vie effroyables de milliers de « migrants » sur notre territoire. De très bons papiers ont été écrits sur le sujet, comme celui d’Hamidou Anne pour Le Monde Afrique, ou de Claude Askolovitch dans Slate. Je dirai seulement en passant qu’au moment où j’écris ces lignes une cinquantaine de « migrants » ont trouvé la mort en Méditerranée et que ce problème ne sera pas stoppé du jour au lendemain.
La question que je me pose est celle-ci : est-ce qu’il faut du « mérite » pour devenir français ? Cela ne va pas de soi. Après tout, je suis français parce que je suis né en France : je n’ai donc aucun mérite. J’en reviens donc au problème de la justice. Est-il juste que j’ai plus de droits et de pouvoir (étant citoyen, je détiens une part de la souveraineté) que quelqu’un qui a plus de mérite mais n’est pas né du bon côté de la frontière ?

Le mérite : une « fiction consolatrice »

En France, nous sommes héritiers, d’une part, du servage du Moyen Age, c’est-à-dire l’attachement héréditaire à une terre. De notre naissance dépendrait ainsi notre statut social, mais aussi notre identité. Il existerait ainsi des « racines » françaises, s’ancrant dans un sol, un terroir, des habitudes. D’autre part, il y a l’héritage de la Révolution de 1789. Pour les révolutionnaires, il fallait rompreavec le système des privilèges et les inégalités de naissance. Les charges et les honneurs devaient revenir aux plus méritants et non à ceux qui étaient « bien nés ». L’école républicaine en est le parfait exemple, avec ses classements, ses notes, ses examens.
Pour beaucoup de gens, il est insupportable que cette « fiction consolatrice » (qu’on appelle parfois « ascenseur social » ou « méritocratie ») ne soit qu’une fiction. C’est pourquoi la sociologie déterministe (qui cherche à mettre en lumière les mécanismes échappant à l’action volontaire des individus) est aussi souvent et violemment critiquée. Or ce que cette sociologie nous apprend, c’est que la vérité du social, c’est la reproduction des groupes sociaux, l’ascension comme la chute restant très marginales. L’arbitraire de la naissance a ainsi survécu dans les faits à la Révolution.
Néanmoins, la société a besoin de fictions pour pouvoir fonctionner. Les enseignants voient bien les difficultés que crée la « panne d’ascenseur » – ou, plus exactement, le fait que les jeunes aient cessé de croire qu’en travaillant bien à l’école ils auront une bonne vie. Le fait que le pouvoir et les médias se soient « emparés » de Mamoudou Gassama le prouve, et Jean-Michel Blanquerl’a bien dit : il est un exemple, l’illustration des valeurs de courage et d’abnégation, un « grand homme », comme ceux du Panthéon, un modèle, un héros.

L’élévation vers le ciel

Mamoudou Gassama est révélateur d’un paradoxe : il n’a été accepté pour fairepartie du démos (peuple) que parce qu’il était aristos (excellent). Il est ainsi devenu français, non pas pour son mérite réel, mais parce qu’il a pu jouer un rôle dans le « récit républicain » : pour qu’il puisse y avoir peuple, il faut qu’il y ait des individus qui se distinguent du peuple. Pour que l’égalité en droit fonctionne, il faut qu’il y ait de l’inégalité en fait. Cet homme s’est montré plus fort physiquement et moralement que ceux qui l’entouraient. L’image qui a tourné en boucle sur toutes les chaînes est révélatrice : on voit un homme qui s’élève, qui jaillit hors de la foule et monte vers le ciel. N’y a-t-il pas là-dedans une dimension religieuse ?
Toutefois, comment peut-on dire que ce geste était « français » ? Ou, comme Alexis Corbière, que ce geste a « rendu français » son auteur ? Le héros appartient-il à une nation ou à l’humanité entière ? Les grands héros, d’Achille à Superman, n’ont-ils pas dépassé les frontières ? Et n’est-il pas absurde de considérer l’héroïsme comme un trait de « francité » ?
Je ne peux m’empêcher d’avoir de la peine quand je pense à tous ceux qu’on ignore parce qu’ils ne sont pas des « héros », mais aussi à Mamoudou Gassama, qu’on a remercié avec un bout de papier et un service civique, que les médias ont consommé et ont ensuite rejeté. Je me dis qu’il vaut mieux que tout ça et qu’il ne fait pas bon être un héros en ce moment.



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