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«Baroque sarabande»: amours et déceptions littéraires de Christiane Taubira

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La littérature-monde est le jardin secret de celle qui fut la ministre iconique du quinquennat Hollande. Un jardin que celle-ci cultive depuis sa petite enfance à Cayenne, en Guyane, dans les années 1950, sous l’œil vigilant de sa mère qui lui a transmis son amour des livres et de l’ailleurs auquel la lecture donne accès. Dans son nouvel opus Baroque sarabande (Philippe Rey), l’ancienne garde des Sceaux raconte son éducation intellectuelle et sentimentale, avec la littérature pour guide.
Christiane Taubira entretient un rapport privilégié avec les livres. On le savait. Ancienne garde des Sceaux sous la présidence de François Hollande entre 2012 et 2016, elle a été, avec son collègue à l’Economie - un certain Emmanuel Macron – sans doute l’un des ministres les plus littéraires de l’ancienne équipe, nourrissant sa réflexion politique de sa vaste culture livresque, aussi éclectique que profonde.
Personne n’a oublié son discours inaugural au Palais-Bourbon, il y a tout juste cinq ans, présentant le projet de loi emblématique du dernier quinquennat sur le mariage pour tous. Un discours cadencé par des citations de René Char, Léon-Gontran Damas, Paul Ricoeur ou Michel Foucault, qui avait suscité l’admiration jusque dans les rangs de la droite hostile à la loi.
C’est encore les écrivains que madame la ministre appelle à la rescousse lorsqu’elle quitte le gouvernement en janvier 2016 pour marquer son « désaccord politique majeur » sur la question de la déchéance de nationalité pour les binationaux français reconnus coupables d’actes terroristes.
Cela donnera Murmures à la jeunesse (Philippe Rey), une supplique argumentée, émaillée de références littéraires et poétiques, où l’auteure puisait spontanément dans la littérature la force pour dire son rejet de la loi proposée. Son nouveau livre, qu’elle vient de faire paraître, Baroque Sarabande, est une «  promenade  »,  dans ce jardin secret qu’elle cultive depuis sa plus petite enfance en Cayenne dans les années 1950.
Dis-moi qui tu lis, je te dirai qui tu es
« C’était, je crois, pour échapper au bruit. Et aux interdits. A l’ennui aussi, ma foi. Ce fut pour la langue. Et pour le temps. Cette sensualité de la présence dans l’instant. Lire. Voir d’abord. Puis toucher. Plonger. Pas toujours. » Ainsi commence le nouveau livre de Christiane Taubira, qui raconte avec cette puissance et cette honnêteté de ton devenues les marques de fabrique de la prise de parole de cette femme publique pas comme les autres.
C'est un ouvrage de quelque 180 pages, s’achevant sur une bibliographie composée de 68 entrées, livres et albums de musique réunis. On y notera la prééminence du Martiniquais Aimé Césaire (six entrées), suivi d’Edouard Glissant (trois entrées) et de Léon-Gontran Damas (trois entrées), et la présence en force de la poésie. Last but not least, cette sélection biblio-discographique se caractérise aussi par son éclectisme, le poète turc Nazim Hikmet cohabitant avec le Français Gaston Bachelard, Julio Cortazar avec Assia Djebar et Nina Simone...
Baroque sarabande est en effet un récit autobiographique, où le sujet se raconte à travers les lectures qui l’ont construit. Dis-moi ce que tu lis, je te dirais qui tu es, pourrait-elle écrire. Née en Guyane en 1952 au sein d’une famille modeste, Christiane Taubira raconte les bonheurs de lecture de ses années d’enfance et d’adolescence, les interdits, et l’histoire de cette valise mystérieuse que, petite fille, elle avait trouvée à la maison. Une valise « bleu délavé, la peau un peu écaillée comme si elle m’attendait depuis des lustres ». Elle n’a jamais su d’où elle venait, mais cela ne l’empêchera pas de piller les livres qu'elle contenait.
Plus tard, il y aura la bibliothèque chez les sœurs de Saint-Joseph de Cluny, où elle découvrira très tôt « la volupté du Cantique des cantiques ». Puis, l’initiation grâce à la bibliothèque du lycée, à « Fanon, Chester Himes, Baldwin, Memmi, Virginia Woolf, mais aussi Dostoïevski, Pouchkine, Mark Twain et la revue cubaine Granma... » Pour la future ministre, la lecture est à la fois une échappatoire et un marchepied vers la complexité du monde à travers le compagnonnage avec les anciens et modernes, écrivant depuis tous continents.
Une étincelante lucidité
Dans son nouveau livre qui vient de paraître aux éditions Philippe Rey, l'ancienne Garde des sceaux Christiane Taubira raconte sa longue fréquentation de la littérature, française et du monde entier. Philippe Rey
C’est sans doute cette prise de conscience précoce de la complexité et la diversité du monde qui permet à la ministre de n’avoir jamais dédaigné le compagnonnage d’un Jack London malgré l'adhésion obstinée de celui-ci à la hiérarchie des races, ou d’un Jorge Luis Borges « qui salue et flatte les généraux putschistes et criminels de masse Pinochet et Videla », ou encore d’un Alexis de Tocqueville qui, malgré la clairvoyance et la perspicacité dont témoignent ses analyses de la démocratie émergence en Amérique, s’était accommodé de l’absence des droits des anciens esclaves.
On connaît le militantisme antiesclavagiste chevillé au corps de Christiane Taubira, ses prises de position prodémocratiques qui l’ont conduite à quitter le gouvernement Hollande, alors qu'elle estimait que sa mission à la tête de l’administration judiciaire n’était pas encore terminée. Si London, Borges, Tocqueville continuent de faire partie aujourd’hui encore de sa bibliothèque personnelle, c’est, l’affirme l’auteure de Baroque sarabande en s’adressant directement aux écrivains incriminés, « sans doute parce que vous m’avez plus appris tous les trois que vous ne m’avez déçue ».
Etincelante lucidité. C’est la principale caractéristique du nouveau livre de l’ancienne garde des Sceaux. Elle cite René Char : « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil », érigeant cette qualité en hygiène de vie. Cela ne l’empêche pas de rappeler dans ces pages les scandales de l’Histoire, nécessairement tragiques : « du génocide amérindien à la traite négrière, du massacre des Hereros et des Namas aux goulags, du génocide arménien à l’Holocauste, de Srebrenica au génocide tutsi, de l’apartheid à la chasse aux Rohingyas… mais aussi de l’interminable et sanglante impasse en Palestine. »
Ces tragédies, suggère l'ancienne ministre, sont les conséquences de l'impérialisme européen qui a monopolisé l'idée de l'universalisme. Elle réclame le décentrement du monde déjà à l'oeuvre en littérature car la langue a les ressources pour affirmer son indépendance. « Elle n'est jamais détenue, explique-t-elle, ni tenue en joue moins encore en laisse ni non plus tenue au secret. Elle peut, fût-elle dominante en un lieu, écrasante, arrogante à force d'être confisquée par les maîtres, maîtres de relation, de situation ou même de plantation, se laisser reprendre, entraîner dans d'inattendus méandres d'où se dégagent de voluptueuses vapeurs. »
N'est-ce pas ce qui est en train de se passer dans les anciennes langues impériales (anglais, français, espagnol, portugais) devenues des « butins de guerre » des anciens colonisés ?

Baroque sarabande, par Christiane Taubira. Ed. Philippe Rey, 180 pages, 9,80 euros.
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