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Au Bénin, « marche doucement sur cette route des esclaves, elle est sacrée »

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Les bas-reliefs des palais d’Abomey, ancienne capitale historique du Dahomey, racontent la prestigieuse histoire du royaume, sa richesse et la bravoure de ses guerriers. La biographie de Mahommah Gardo Baquaqua, publiée en 1854 par l’Américain abolitionniste Samuel Moore sous le titre An Interesting Narrative, en raconte les heures plus sombres. Neuf ans plus tôt, cet homme a été capturé près de Djougou, son village natal du nord du pays, puis conduit sous bonne escorte à Abomey.

« On m’avait dit que la maison du roi était ornée de crânes humains, mais je ne les ai pas vus, raconte-t-il. Quand je suis arrivé à Abomey, j’ai perdu tout espoir de revoir ma maison. » En tant que prisonnier de guerre, son sort ne dépendait plus que du roi. A l’époque, il s’agissait de Guézo, qui a régné de 1818 à 1858. De Gangnihessou à Béhanzin, ils sont douze à s’être succédé à la tête du Dahomey entre 1600 et 1894. Pour étancher leur soif de puissance et d’hégémonie, les attaques et les razzias étaient alors permanentes.
 
« Le village était à l’aube d’un immense carnage », a décrit en son temps Cudjo Lewis, décédé en 1935 et considéré comme le dernier survivant de la traite négrière aux Etats-Unis. Ses mémoires, écrites et même filmées par l’écrivaine Zora Neale Hurston en 1928, sont sans équivoque. « Les habitants avaient été surpris par la cruauté de l’armée du roi. Les guerrières [probablement les célèbres amazones] ont largement participé à cette terrible boucherie. » Dans ce pays qui a donné naissance au vaudou, religion qui exalte les forces de la nature et le culte des ancêtres, toutes les attaques étaient soumises à l’approbation de la divinité Fâ.

Fin connaisseur du vaudou

Gabin Djimassé a la soixantaine, la main ferme et une envie inextinguible de raconter l’histoire du Bénin en tant qu’historien, conservateur des palais royaux et directeur de l’office du tourisme d’Abomey. Il est aussi un fin connaisseur du vaudou et a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet. Dans le cadre de ses recherches, il a arpenté cette route des esclaves qui relie Abomey à Ouidah et sur laquelle je vais marcher dès demain.
« L’étude du parcours m’a pris environ cinq ans, affirme-t-il. Je me suis appuyé sur des récits historiques mais j’ai également passé du temps sur le chemin avec les descendants de ceux qui accompagnaient les esclaves jusqu’à la mer. Ils étaient gardes, guérisseurs, forgerons… La transmission orale a fonctionné et c’est ce qui me permet de dire que le tracé est précis.
– Un dernier conseil avant de partir ?
– Il faut marcher doucement sur cette route. Il faut marcher doucement car elle est sacrée. »
 
Parce que les différentes pistes qui conduisent à Ouidah constituent un labyrinthe et que je ne parle pas fongbè, la langue communément parlée au Bénin, je ne marcherai pas seul. Au cours du dîner, je fais la connaissance d’Hubert Agossougbete, qui travaille depuis une dizaine d’années à l’office du tourisme d’Abomey. Cet homme jovial a eu plusieurs vies, dont celle de moto-taxi à Cotonou. Au Bénin, on les appelle les zem – pour zemidjan, qui signifie « emmène-moi vite » en fongbè. Ils quadrillent le pays par centaines de milliers et c’est sans difficulté que j’en trouve un pour retourner à mon hôtel, où je m’installe pour une courte nuit.

« Le roi gardait les plus belles femmes »

A 6 heures, un croissant de lune éclaire timidement la maison Houinato. Cette demeure basse, qui est aujourd’hui une habitation privée, est l’ancienne prison d’Abomey. Construite par le roi Agadja vers 1720, elle a été agrandie par Guézo pour accueillir les prisonniers de guerre et les esclaves. C’est là, devant ses murs défraîchis, que le rendez-vous est donné pour commencer la marche jusqu’à la mer, à Ouidah, à 125 km au sud. Ce sont ces portes qui ont craché pendant près de trois siècles un flot quasiment ininterrompu d’êtres enchaînés réduits en esclavage.
« Si le roi avait besoin d’agriculteurs ou de tisserands, il les gardait pour le royaume, m’explique Hubert. Il s’appropriait aussi les plus belles femmes et offrait les autres à ses princes et à ses meilleurs soldats. Quant aux récalcitrants, on leur tranchait la tête en sacrifice aux dieux vaudous. »
Nous marchons lentement vers le site des palais royaux, à environ 2 km. Ces derniers couvrent une superficie de 47 hectares et sont classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Le palais du roi Glèlè (qui a régné de 1858 à 1889) est à côté de celui de son père, Guézo. Ils abritent le musée d’Abomey. Cudjo Lewis est passé devant ces murs en juillet 1860, comme Mahommah Gardo Baquaqua quinze ans plus tôt.

Les vendeurs de kpayo

J’aime les matins d’Afrique. J’aime sentir cet air frais lentement envahi d’une odeur de bois brûlé. Je savoure d’autant plus l’instant que je sais qu’il ne durera pas. Dans quelques dizaines de minutes, le soleil va réchauffer puis embraser chaque parcelle. Et le bruit ! Dans les villes, il va monter pour devenir jusqu’au soir un mélange assourdissant de klaxons, de musiques et de cris.
La cité est encore calme. Les rues de l’ancienne capitale historique s’éveillent à peine lorsque nous quittons le centre-ville. A chaque carrefour, les vendeurs de kpayo remplissent délicatement des bouteilles pour ne pas perdre une goutte de ce carburant de contrebande venu du Nigeriavoisin. Devant les boutiques, on rallume les braseros et le silence n’est troublé que par le frottement des balais sur les trottoirs. Les passants se saluent d’un geste, d’un sourire.
 
En sortant de chez lui, Hubert, qui prévoit de marcher en tongs, a mis deux modèles différents. « Je ne voulais pas allumer la lumière par peur de réveiller ma femme, et je me suis habillé un peu vite », lance-t-il avec un sourire. A peine a-t-il terminé sa phrase qu’il aperçoit un zem qu’il connaît bien. C’est un voisin : « Tu peux aller chez moi pour faire un échange de chaussures ? » Avec une moue d’approbation, le chauffeur démarre en pétaradant une tong à la main.
« On va continuer à marcher pour ne pas perdre de temps, dit Hubert.
– Avec une seule tong ?
– Le zem nous rattrapera… Ne t’en fais pas. »
Une demi-heure et deux coups de téléphone plus tard, le voisin rapporte la chaussure manquante. « C’est bon, lance Hubert dans un éclat de rireMaintenant je suis équipé ! » Pourquoi s’inquiéter ?

Des bananes en sacrifice

Nous sommes encore dans les faubourgs d’Abomey lorsque le guide s’approche soudain d’une maisonnette blanche assez discrète, à l’écart du chemin. Des plumes sont collées dans l’embrasure de la porte et, sur l’un des murs est peint un homme tenant dans sa main un immense phallus. Il s’agit du temple du dieu Houndossou-Legba, qui aurait assuré au roi Agonglo, à la fin du XVIIIe siècle, une importante conquête militaire. En remerciement, le roi aurait sacrifié un jeune couple rencontré au hasard.
 
Devant le temple du dieu vaudou Houndossou-Legba, à la sortie d’Abomey, en octobre 2017.
Devant le temple du dieu vaudou Houndossou-Legba, à la sortie d’Abomey, en octobre 2017. CRÉDITS : PIERRE LEPIDI
« C’est un dieu vaudou très puissant, prévient Hubert. Avant le départ pour Ouidah, on immolait ici un coq et une poule pour solliciter la protection divine. Il faut lui offrir quelque chose. » Le guide sort trois bananes de son sac et les remet au gardien du temple. Sans dire un mot, l’homme aux cheveux blancs pénètre dans le lieu sacré et, en prononçant quelques incantations, jette les morceaux de fruit sur un monticule de cire, de légumes et de restes de volaille.
« Il demande au vaudou de nous protéger jusqu’à la mer, traduit Hubert.
– Tu y crois ?
– Oui, c’est ma religion. C’est important d’offrir quelque chose à Houndossou-Legba qui va nous accompagner. »
Comme un mantra, la phrase de Gabin Djimassè résonne dans ma tête : « Marche doucement sur cette route, elle est sacrée. »
 
 



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