Lundi, il avait réclamé la fin des purges au sein de la ZANU-PF et prévenu qu’il n’hésiterait pas à intervenir. Mercredi, le chef d’état-major de l’armée zimbabwéenne, le général Constantino Chiwenga, a mis sa menace à exécution. Les militaires ont en effet pris possession le 14 novembre 2017, à grand renfort de blindés, de sites stratégiques d’Harare tels la télévision nationale, le siège du Parlement et la présidence. Et pourtant, prétendent-ils, il ne s’agit pas d’un coup d’Etat mais d’une œuvre de salubrité publique pour débarrasser le pays de l’entourage vermoulu du président Robert Gabriel Karigamombe Mugabe.
Mais si ce n’est pas un putsch, ça y ressemble furieusement tant les ingrédients d’un pronunciamento sont réunis. Et quand bien même les soldats ne chasseraient pas le camarade Bob comme dans un putsch classique, on ne voit pas comment, à 93 ans et après 37 aux affaires, le plus vieux chef d’Etat en exercice dans le monde (on a les records qu’on peut) ne perdrait pas la plénitude de son pouvoir. Le mythe est en tout cas brisé. Ce qui se passe actuellement dans l’ex-Rhodésie du Sud tient un peu de la jurisprudence Bourguiba. En effet, en 1987 le Combattant suprême avait été gentiment déposé pour cause de sénilité par le patron de son armée, Zine el Abidine ben Ali.
En toute logique, on devrait condamner en bonne démocratie toute irruption de la Grande Muette dans le jeu politique partisan, mais étions-nous en bonne démocratie chez papy Bob ? Certainement pas. Voici en effet un monsieur qui, après avoir lutté héroïquement contre le colon britannique s’est, une fois l’indépendance acquise en 1980, mué petit à petit en despote, massacrant les populations (1) du Matabeleland dont était originaire son rival Joshua Nkomo ; expropriant les fermiers blancs au prétexte que le Royaume-Uni n’avait pas tenu ses promesses pour ensuite permettre à la nomenklatura locale, au premier rang de laquelle la first lady, de s’approprier les domaines agricoles. Conséquence, ce qui était jadis le grenier de l’Afrique australe connaît depuis des cycles de famine et les cultures de rente tel le tabac sont totalement sinistrées.
Et comme si ça ne lui suffisait pas d’avoir mené son pays à la banqueroute, voilà que celui qui a fait de la lutte contre l’impérialisme un joli paravent pour masquer ses propres turpitudes s’accroche au-delà de tout bon sens au fauteuil présidentiel, qu’il veut maintenant léguer à son épouse Grace, aujourd’hui la cause de sa disgrâce. Mariée depuis 1996 à celui dont il fut d’abord la secrétaire très très particulière, bombardée présidente de la puissante ligue des femmes de la ZANU-PZ, elle ne faisait plus mystère de son ambition de remplacer son mari le moment venu sans se douter qu’elle creusait ainsi la tombe de son conjoint et la sienne propre.
Sa perte, si elle devait se confirmer, « l’homme aux sept diplômes académiques » la devrait certes à lui-même mais également en grande partie à celle qui, il est vrai, conserve à 52 ans une plastique à damner même un vieillard cacochyme de 41 ans son aîné. L’éviction spectaculaire le 8 novembre dernier du vice-président Emmerson Mnangagwa, dauphin et néanmoins rival déclaré de Tata Grace, aura été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la soldatesque. Déjà il y a trois ans, la première dame avait obtenu le limogeage d’un autre vice-président, Joyce Mujuru, et pensait de nouveau pouvoir s’offrir le scalp d’Emmerson dont les partisans l’ont conspuée le 6 novembre courant. Ce qui vient de se passer est, à bien des égards, le résultat de la guerre jusque-là feutrée que se livrent le clan de Grace, le G40, et celui du successeur déchu pour le contrôle du parti au pouvoir.
Non contente de se découvrir sous la couette présidentielle un destin national et de décrocher un doctorat de philosophie à l’université d’Harare après … trois mois d’études, «Gucci Grace» ou la «first shopper» (2), comme ses compatriotes se plaisent à la brocarder, était aussi connue pour ses dépenses somptuaires à Paris, Londres, Milan ou Hong Kong alors que le pays est ruiné et disait à qui voulait l’entendre que ses pieds sont si fins qu’ils ne supportent que des Ferragamo. A bien y réfléchir, c’est plus contre elle que contre son mari que l’action des militaires est dirigée.
Voilà où mènent la folie des grandeurs et la patrimonialisation du pouvoir. Non, on ne va pas plaindre Bob même si la règle veut que le passage par les urnes soit le seul mode de dévolution du pouvoir. Et à tous ceux qui, aujourd’hui à l’image de l’Union africaine, protestent et condamnent le coup de force, souvent plus pour le principe que par sincérité, on pose la question suivante : qu’avez-vous fait pour arrêter les dérives de l’autocrate nonagénaire ? Que faites-vous quand ces satrapes pillent le peu de ressources que leur pays possède ? Que dites-vous quand ils tripatouillent les Constitutions pour s’éterniser au pouvoir ou lorsqu’ils positionnent rejetons, frangins ou pépés pour hériter de l’affaire dans la plus pure tradition dynastique ?
Il n’a donc eu que ce qu’il mérite, comme tant d’autres avant lui qui n’ont pas su s’arrêter à temps. Encore heureux que ces putschistes qui ne s’avouent pas le ménagent, eu égard à son grand âge et à son passé glorieux en le mettant en résidence surveillée. L’heure de la retraite a peut-être enfin sonné pour lui !
Cela dit, de nombreuses incertitudes planent toujours, liées notamment aux divisions qui traversent l’armée et à la position de la puissante Association des anciens combattants de la guerre de libération pour laquelle l’ancien pensionnaire de la mission jésuite de Kutama est un demi-dieu. Mais si les soldats devaient terminer leur manœuvre en consommant courageusement le putsch, il faut espérer que ce soit l’occasion pour une refondation de la démocratie zimbabwéenne, qui n’a jamais existé que de nom.
Ousseni Ilboudo