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Faut-il dire non pour se faire aimer ?

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Pendant des siècles, quand un bourgeois «respectable» cherche une partenaire, il la choisit chaste et vertueuse. Elle doit se refuser. Et de nos jours ? Il semble que les règles n'aient guère changé. Plus la femme se refuse, plus elle a du succès ?
 
Le premier grand roman d’amour bourgeois, Pamela (de Samuel Richardson) raconte l’histoire d’une femme de chambre qui résiste aux avances de son maître, se refusant à lui, sans cesse, jusqu’à ce que celui-ci –saisi d’admiration– tombe amoureux et lui demande sa main. Morale de l’histoire : seule une femme qui dit NON peut obtenir ce qu’elle veut.
De nos jours, les femmes sont libérées ?
A lire ce roman, on songe : «Quelles moeurs rétrogrades ! Heureusement que les choses ont changé». Puis on tombe sur Les Règles. Secrets pour capturer l’homme idéal (The Rules: Time-tested Secrets for Capturing the Heart of Mr Right) un manuel paru en 1995 aux Etats-Unis, traduit dans pas moins de 18 langues. Il s’est écoulé en plus de deux millions d’exemplaires. Ce livre prêche l’idée que les femmes doivent devenir des expertes en matière de mise à distance, afin d’acquérir de la rareté. Il fournit des règles telles que celles-ci :
Règle n°2 : N’adressez jamais la parole à un homme la première.
Règle n°3 : ne dévisagez pas les hommes. Parlez peu.
Règle n°5 : Ne lui téléphonez pas, rappelez-le rarement.
Règle n°6 : Au téléphone, raccrochez la première.
Règle n°12 : Cessez de le voir s’il ne vous offre pas un cadeau romantique pour votre anniversaire ou à la Saint Valentin.
Les manuels de «bonne conduite»
On songe, en lisant ces «règles», aux traités de bonnes moeurs qui, depuis des siècles, enjoignent les jeunes femmes à baisser les yeux lorsqu’elles marchent dans la rue. Il faut qu’elles fixent le pavé afin qu’aucun homme ne puisse croiser leur regard. Dans Le Mesnagier de Paris (1393), par exemple, un bourgeois fait la peinture du modèle idéal à suivre : une fille ne doit ni regarder les hommes dans la rue, ni s’adresser spontanément à eux, mais se conduire en «prude femme» (l’équivalent féminin du prud’homme), avec le constant souci de préserver son image. «Il suffit qu’une seule fois la femme suscite le soupçon ou s’attire une mauvaise réputation. Et même si cette rumeur est sans fondement, la femme en sera toujours entachée» (1). Gare à celle qui s’exposerait à la rumeur publique ! Elle ne trouverait plus mari, ayant perdu toute respectabilité.
Immaculée, soyez immaculée
Il existe bien sûr une différence de taille entre les Règles de 1995 et celles de 1393. Le best-seller d’Ellen Fein et Sherrie Schneider est en effet dénué de toute morale, de tout souci des conventions. Il s’agit non pas de préserver son honorabilité au regard de la société, mais de mystifier les hommes, en se faisant passer pour ce que l’on n’est pas : «Vous voudriez la formule magique pour devenir désirable et mystérieuse via les Texto, Facebook et Skype ? Vous en avez assez d’être célibataire ?». Présenté comme un «manuel de stratégie amoureuse», The Rules énumère de façon presque cynique 35 astuces «infaillibles pour séduire l’homme de sa vie» et «se faire épouser» qui apparentent la quête amoureuse à une partie de poker menteur. Non contentes d’encourager les lectrices à tromper les hommes, et –pire encore– à flatter les bas instincts de ceux qui, en bons machos, préfèrent les pucelles et les cruches, Ellen Fein et Sherrie Schneider piétinent tous les acquis du féminisme, allant jusqu’à recommander aux femmes de la «jouer pas facile» (play hard to get), c’est-à-dire : se refuser. Minauder à reculons.
Les règles enjoignent aux femmes d’être vénales ?
Enjoignant aux lectrices de réprimer leurs envies, les deux «expertes matrimoniales» insistent : non seulement il faut s’abstenir de baiser avec l’homme qu’on «vise» (qu’on aime), mais il faut exiger de lui des dons matériels –cadeaux, invitations au restaurant, taxis– bref, se conduire en cocotte de luxe et reproduire le schémas classique de l’inégalité. Faut-il le rappeler ? L’inégalité des sexes est entièrement basé sur cet échange disparate –du plaisir en échange d’une bague– entre la femme qui «monnaye» sa sexualité (faisant l’impasse sur son plaisir) et l’homme qui devient, de fait, son «employeur». Pour l’anthropologue féministe Paola Tabet, les femmes qui se croient gagnantes à ce petit jeu sont en réalité les premières victimes de ce que la chercheuse nomme «La grande arnaque». Car, sous couvert d’avoir un mari, qu’obtiennent-elles d’autres que le droit de se taire ? «Sois belle et plais-moi». La grande arnaque, dit Paola, c’est qu’au lieu d’avoir du plaisir en échange de plaisir, la femme obtient une rétribution en échange d’un travail : la voilà «prestataire de services». «L’échange est inégal», souligne Paola, car il contraint la femme à réprimer ses désirs.
Pourquoi tant de succès ?
«Immoral», «pernicieux», «malhonnête» mais par-dessous tout «rétrograde», le livre a beau s’attirer les plus virulentes condamnations, il se vend à un rythme effréné. Dans la presse, on se déchaîne d’autant plus que le livre marche bien, ce qui génère l’apparition d’une de ces classiques batailles médiatiques entre les «pour» et les «contre», qui radicalise inutilement les positions. Tout en essuyant les boulets rouges des féministes (et des masculinistes au passage), Ellen Fein et Sherrie Schneider sont invitées sur les plateaux TV et célébrées comme les nouvelles gourous du «coaching sentimental», ce qui ne contribue guère à faire avancer le débat. En 1997, elles publient The Rules II. En 2000, The Complete Book of Rules. En 2001 : The Rules for mariage. Et c’est juste au moment de cette sortie de livre, en 2001, qu’Ellen Fein se fait quitter par son mari : 16 années de félicité conjugale volent en éclat pour le plus grand régal des médias qui s’indignent. N’a-t-elle pas toujours mis en avant son couple comme un modèle exemplaire et la preuve absolue que les Règles, ça marche ? Tout le monde ricane.
«Ne pas trop parler à un homme rend son amour plus profond»
La journaliste du Guardian, Katie Roiphe, note avec humour : «On ne peut pas s’empêcher de se réjouir que celle qui conseillait à des millions de femmes de ne pas trop parler lors des rendez-vous amoureux soit amenée à revoir ses positions». Hélas, c’est se réjouir trop vite. Ellen Fein récupère vite de son divorce. Entre 2003 et 2013, elle persévère et co-publie quantité de manuels stupides (The Rules for Online DatingNot your Mother’s RulesThe New Rules, etc), distillant le venin de cette idéologie pernicieuse qu’elle nomme l’estime de soi : «Une femme qui s’estime ne se jette pas dans les bras d’un homme», dit-elle, ce que l’on pourrait traduire en termes clairs : «une femme facile, une salope, ne mérite pas d’être aimée». Le propos est éminemment puritain. Comment comprendre que tant de femmes, pourtant, adhèrent à cette pensée ? Katie Roiphe elle-même s’étonne : «Il est facile de se moquer de The Rules et de déplorer le sexisme de ses auteurs […]. Mais il n’empêche que ce livre de poche stupide, à la couverture couverte de rubans roses, a capturé l’attention de millions de femmes dans le monde.»
Des femmes cultivées et indépendantes lisent Les Règles ?
«Cinq ans après sa sortie, je vois ce livre dans la bibliothèque de femmes intelligentes, coincé entre Les frère Karamazov et Zadie Smith», s’étonne la journaliste qui s’interroge : mais pourquoi tant de femmes modernes et cultivées calculent-elles le nombre de jours durant lesquels il leur faudra se refuser à celui qu’elles espèrent épouser, comme si l’équation mathématique du Non pouvait garantir leur succès !? «Il est étonnant que les rituels de séduction des années 1950, ceux contre lesquels nos mères se sont tant battus, puisent paraître si attirants, si nécessaires, aux femmes de la nouvelle génération. Peut-être est-ce dû au fait que les femmes se marient plus tard. Tant qu’elles ont 20 ans, elles peuvent se concentrer sur leur carrière, sortir entre amies et multiplier les aventures… Mais quand elles ont 30 ans, brusquement, les femmes se mettent à angoisser : tels des personnages de la série Sex and The City, elles craignent de rester coincées dans un univers de cocktails et de Manolo Blahniks»… L’explication semble plausible. Mais il y en a d’autres… Avez-vous entendu parler de cette maladie soi-disant «masculine» qu’on nomme aux Etats-Unis la «phobie de l’engagement» ?
 
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NOTE (1) : Tou est cheu sans jamais relever, puis que une seule foiz femme est soupçonnée ou renommée au contraire. Et encore supposé que la renommée soit à tort, si ne peut jamais icelle renommée être effacée


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