Femme au grand coeur discrète et accueillante, Koué Eugenie est le modèle de leader communautaire, une véritable championne de l’intégration. Chef de village dans une région où la femme, selon la tradition ne peut pas avoir accès à la terre, elle s’est imposée comme une actrice de paix, de cohésion sociale et de l’intégration sous régionale. A travers cet article, nous voulons présenter cette ancienne vendeuse de banane qui, par son courage, son travail et sa détermination est parvenue à créer un microcosme parfait de cohésion et d’intégration dans une région durement éprouvée par les différentes crises qu’a connu la Côte d’Ivoire, une région «où il est difficile d’être femme».
Nous arrivons dans le village de Kouébly-Banco, à une vingtaine de Kilomètre de Guiglo par une route en terre, plutôt en bon état en ce début de saison pluvieuse. Notre délégation est accueillie et conduite chez le chef du village. Des femmes s’activent autour du feu, de grosses marmites posées sur les foyers, un groupe d’hommes vient demander les nouvelles, toutes sortes de mets sont présentés, des mets typiques de toutes les communautés du village; un accueil des jours de fête pour une simple activité de sensibilisation, chose rare, même dans les plus gros villages visités à l’ouest du pays.
Deux heures avant l’activité, la place publique de Kouébly-Banco est prise d’assaut par les populations. Des femmes, des jeunes, des personnes âgées de toutes les communautés sont présentes. Les bâches louées pour la circonstance ne suffisant pas, des chefs de la communauté malinké apportent de façon spontanée une autre bâche; le groupe électrogène apporté de la ville pour l’activité tombe en panne avant le début de l’activité de sensibilisation, un homme du village, de la communauté étrangère, propose de nous prêter son groupe électrogène gratuitement; une mobilisation plutôt exceptionnelle vue la taille du village. C’était la deuxième fois, en l’espace de six mois que je me rendais dans ce village, fondé en 1965, dans le cadre de ma mission de promotion de la cohésion sociale et de la protection dans les zones de l’ouest et du sud-ouest de la Côte d’Ivoire. Banco est connu pour sa grande mobilisation, et surtout pour la participation active de toutes les communautés aux activités du village. Une véritable harmonie règne au sein du village.
C’est l’oeuvre d’une femme : Koué Eugénie, Chef du Village du Banco depuis le 9 Janvier 2015. Cette cohésion et l’amour fraternel observés dans ce village ont une histoire. En effet, depuis la disparition de son père, fondateur du village, en 2001, Koué Eugénie s’est érigée en protectrice de toutes les communautés et en artisan du vivre-ensemble. Tous les conflits portés à sa connaissance ont été jugés de manière impartiale et par le dialogue. Au plus fort des crises qui ont secoué l’ouest de la Côte d’Ivoire, mêmes déplacées pour des raisons sécuritaires, Koué Eugénie a pris soin des biens et des plantations des populations étrangères, notamment Burkinabés, à qui elle faisait parvenir les fruits des récoltes. C’est en reconnaissance de ses grandes oeuvres qu’en 2015, étant en déplacement dans un pays étranger, de façon unanime, toutes les communautés vivant à Kouébly-Banco, l’ont désigné comme leur chef du village. Grâce à elle, les conflits fonciers et les conflits intercommunautaires, très répandus dans les villages de l’ouest de la Côte d’Ivoire, sont presqu’inexistant au Banco. Son leadership ne fait l’objet d’aucune opposition ni contestation. Elle est aimée de tous et a même été sollicitée pour présider aux destinées de son village paternel; Domobly. Elle préfère pour le moment se consacrer à Kouébly-Banco.
En matière de leadership et d’autonomisation de la femme, Eugénie est un véritable modèle. A ce propos, elle encourage les femmes à oser car « les femmes sont naturellement des chefs ». Les femmes ont déjà prouvés qu’elles peuvent diriger, elle encourage donc de plus en plus les femmes et les jeunes filles à oser, à prendre les devants et à s’intéresser à la gestion du pouvoir à tous les niveaux.
Femme battante, c’est en 1976 qu’elle arrête les études en classe de seconde. Elle exercera diverses activités afin de soutenir la scolarisation de ses trois enfants. Grâce à sa détermination, elle a eu accès à des terres et a fait mentir la très vieille pratique selon laquelle les femmes ne peuvent pas avoir accès à la terre. Aujourd’hui, elle possède plusieurs hectares de cacao, d’hévéa, de teck et de palmier à huile. Titulaire d’un certificat en tourisme et communication, c’est à la mairie de Guiglo qu’elle servira comme collectrice, responsable du service d’hygiène et régisseur.
Ses projets pour l’avenir sont le lotissement du village du Banco, la promotion de l’éducation de la jeune fille à travers la construction d’une école moderne en remplacement de l’école communautaire actuelle, la lutte contre les Violences Basées sur le Genre. Certainement, elle pourra apporter un véritable développement à son village et fera bénéficier de son expérience aux autres communautés du Cavally et à toute la Côte d’Ivoire car selon ses propres termes « quand je commence, je termine ».
AKO Essan Emile
