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Évaluation des forces et faiblesses ( Sixième et dernière Partie)

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Nous poursuivons, ici, notre analyse critique en examinant les progrès démocratiques que le Projet de Constitution 2016 est susceptible d’apporter.
 
B)  Renforcement des droits démocratiques et politiques (suite)
 
5. L’élimination des critères discriminatoires (origine historique et socio-culturelle) dans le processus d’accession au pouvoir, conformément d’une part, aux droits et garanties constitutionnels contre la discrimination, et d’autre part, au principe rigoureux et inflexible  de   l’égalité   des citoyens  devant la Loi.  En définissant les conditions de l’éligibilité présidentielle que sous le rapport  de la nationalité (exclusivité et transmission par filiation), la nouvelle Constitution, sans innover totalement, puisqu’elle conserve la terminologie inappropriée « d’origine », élargit néanmoins les possibilités d’accès  au pouvoir d’État  par la suppression du « et », figurant dans les dispositions antérieures (ouverture au métissage).
 
On peut regretter que pour des raisons historiques, elle ne réussisse pas à établir formellement que le seul lien juridique qui lie le citoyen à l’État, est la nationalité. Or, la nationalité Ivoirienne n’existe qu’à partir de la naissance de l’État de Côte d’Ivoire (1960). Il s’en suit qu’il est difficile de pouvoir s’en référer pour des personnes (potentiels candidats et leurs parents) nées avant cette date. Dès lors, il convenait de trouver une autre formulation qui tienne compte de cette réalité, avec des concepts et des notions strictement juridiques (nationalité, territoire).
 
Variante « le candidat doit être exclusivement de nationalité ivoirienne, né de père ou de mère, eux mêmes de nationalité Ivoirienne à compter de 1960, ou descendants  des populations qui vivaient anciennement, de manière stable, sur le territoire national du nouvel État à cette date. »
 
6. L’immense progrès qu’apporte le bloc de constitutionnalité dans le champ de compétence du Conseil Constitutionnel qui n’est plus simplement le juge de la constitutionnalité des lois, au sens stricto sensu,  mais qui fait de lui désormais, le véritable gardien des principes et droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés individuelles et publiques. Cette affirmation renforce considérablement le rôle et l'autorité de la juridiction constitutionnelle dans le système politique de gouvernance, en élevant  son niveau d’intervention non plus seulement au contrôle du travail parlementaire, mais également au contrôle de l’action gouvernementale en matière de droits de l’homme et des libertés.
 
     7.    Une spécialisation fonctionnelle des pouvoirs permettant une délimitation plus stricte entre les fonctions de chaque organe: le Pouvoir législatif édicte les normes ; le Pouvoir exécutif les met en œuvre et s’occupe de la gestion administrative et financière de l’État.  Cette orientation introduite par la mise en place d’un régime au caractère présidentiel plus affirmé, permet d’éliminer la confusion.
 
C)   Justice Sociale  et indépendance judiciaire
 
Évoquer l’indépendance de la justice en Côte d’Ivoire ou encore la justice sociale, c’est toucher à des sujets très sensibles. L’un est chargé d’un lourd contexte historique (procès post-crise),  l’autre fait écho à une grande actualité (récents mouvements de mécontentement). Ces sujets font régulièrement l’objet de débats nourris sur les réseaux sociaux et dans l’opinion publique. Il existe donc, une réelle attente dans ces domaines. Le Projet de Constitution semble y répondre sur plusieurs points :
 
  1. Un engagement plus fort de  l’État à garantir aux populations, à travers des obligations explicites mises à sa charge, au-delà de ses missions régaliennes et des services publics traditionnels qu’il assume, des  droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux (école obligatoire, droit au travail, à l’éducation, à la santé et au logement). Cette créance vis à vis de l’État est susceptible d’ouvrir aux citoyens ordinaires des voies d’action en justice contre l’État, pour manquement à ses obligations. Sous réserve de la suffisance de la Loi qui en traduira la volonté et le principe, ces engagements sont de nature à permettre la réduction de l’écart qui existe entre la réalité vécue par les populations et l’encadrement constitutionnel des textes législatifs.
 
  1. Le renforcement des droits des prévenus et des détenus, à travers une série de garanties nouvelles (information, traitement, et notamment le respect des droits de la défense, Art.7-3 et 4).
 
  1. L’instauration de garanties statutaires qui mettent les magistrats à l’abri des ingérences, pressions, menaces, mutations intempestives et des sanctions arbitraires qui pourraient affecter leur indépendance et leur impartialité dans l’exercice de leurs fonctions (Art. 140). Elle est la condition nécessaire de leur indépendance.
 
  1. Sur le plan de la bonne administration de la  justice, il existe désormais une exigence de qualité imposée au service public de la justice (compétence, neutralité, probité, délai). Elle est assortie d’une obligation de résultat, et c’est là la nouveauté, qui engage désormais la responsabilité professionnelle du magistrat (Art.141). Même si la sanction envisagée reste une mesure interne, elle est de nature à affecter le déroulement de carrière du magistrat, mais aussi à créer une obligation d’évaluation, de suivi, et de contrôle de la part de sa hiérarchie. Le juge est désormais comptable de ses performances.   
 
  1. L’aménagement de protections nouvelles du magistrat dans ses rapports avec les justiciables (Art. 142). L’outrage à magistrat était déjà réprimé, mais il n’avait pas encore un statut constitutionnel spécifique qui le distinguait  nettement du délit de droit commun posé à l’encontre de tout agent ou fonctionnaire, dépositaire de l’autorité publique. Ce renforcement est le fruit de l’expérience, qui invite la Loi pénale à exprimer une plus grande sévérité contre la commission de ce délit particulièr. Se souvenir des magistrats qui ont subi des voies de faits, sous la Refondation.
 
  1. La rupture du lien ombilical entre le Président de la République et le Conseil Supérieur de la Magistrature. Celui-ci n’en est plus le Président comme auparavant, même s’il dispose toujours du pouvoir de nommer le Président de l’Institution (Art. 147). Cette Autorité est composée uniquement de magistrats et est confiée aux magistrats eux-mêmes, qui gèrent entre autres, le déroulement de leur propre carrière. Cependant, on peut regretter qu’il ne leur ait pas été confié également le soin d’élire leurs propres Présidents d’institution (C C. et CSM)
 
D)   - Organisation du Pouvoir et transmission
 
Le mode d’organisation des Pouvoirs publics constitutionnels détermine son régime et son caractère. Il est en Afrique, souvent inspiré ou influencé par des modèles extérieurs. Nous gardons une distance critique à leur égard, car nous croyons en la capacité de chaque peuple à pouvoir imaginer un modèle qui lui corresponde le mieux (contexte, sociologie, histoire, culture, économie, environnement, contraintes et objectifs). La question des modèles et des contre-modèles, est une question de sensibilité, de philosophie, d’idéologie et de vision. Celle-ci sort donc du périmètre de notre analyse, car c’est d’abord une question de préférence. Chaque régime constitutionnel possède ses avantages et ses inconvénients. Ce n’est pas un univers manichéen ou tout est noir ou tout est blanc. Pour s’en faire une juste opinion, il  faut prioritairement évaluer  l’usage de la pratique politique qui en est fait, et la nature réelle du système politique qui en découle. Ceci sort du cadre de l’objet de notre analyse, nous n’instruisons pas le procès d’un système. Dès lors, nous nous intéresserons uniquement aux éléments et aspects novateurs du Projet Constitutionnel, en ce qu’ils peuvent être considérés comme permettant une amélioration substantielle de notre système démocratique de gouvernance.
 
1 - La novation la plus remarquable est l’apparition de la « Chambre nationale des Rois et Chefs traditionnels », chargée de valoriser le patrimoine culturel de la Nation  et de promouvoir des idéaux de paix et de développement auxquels sont foncièrement attachées les populations. Cette reconnaissance est d’une part, l’affirmation de notre identité (restitution du rôle essentiel de cette institution dans le fonctionnement de nos sociétés, et préservation des traditions qui fondent notre identité) et un acte de foi en nos propres valeurs ; et d’autre part, l’affirmation d’une volonté de cohésion sociale et de réconciliation (rôle modérateur auprès des communautés, acceptation des différences culturelles au sein d’un creuset fédérateur et commun, promotion de la paix sociale). De ce dernier point de vue,  elle est une institution de régulation sociale (règlement amiable des conflits) et de prévention  des conflits (diffusion d’une culture de paix). Art. 175.
 
2 – La définition précise des attributions et compétences de la Cour des Comptes, laissent présumer la réactivation de cette juridiction administrative. Elle traduit la détermination de lui donner les moyens légaux d’assumer son rôle de manière effective. Véritable Commissaire aux Comptes, chargé de certifier les comptes de l’État (régularité, sincérité, exactitude et fidélité) à l’égard de l’Exécutif (suivi des dotations budgétaires et de la bonne exécution des politiques publiques), du Parlement (contrôle de l’action gouvernementale) et des populations (information neutre et fiable), mais aussi des partenaires techniques et financiers extérieurs (bon emploi de la dette et des contributions au développement), et de contrôler le bon usage des fonds publics et la bonne gestion des finances  publiques (exécution de la Loi des finances).  Cette délimitation des compétences, va permettre de recentrer l’Inspection Générale des Finances, sur des missions d’enquêtes. Elle constitue un progrès démocratique indéniable sur deux volets : La production et la diffusion de rapports publics pour informer correctement  les populations de la gestion des fonds publics, et les limites imposées aux gouvernants dans leur gestion par le contrôle indépendant exercer sur eux (traque à la fraude, au gaspillage, aux malversations et aux abus).
 
3 - La cohérence de la vacance du Président de la République, en ce qu’elle organise l’intérim de la  fonction en respectant le principe de la séparation des pouvoirs. Le Président de la République et son Vice-Président sont élus au suffrage populaire direct, à ce titre ils sont qualifiés pour assumer la charge de l’Exécutif, conjointement ou successivement  pendant toute la durée de leur mandat. En cas de vacance cumulative des deux, le second personnage au sein de l’Exécutif, en grade et en qualité, en la personne du Chef du Gouvernement, donc du Premier Ministre, assure suivant la même logique (séparation des pouvoirs) la succession dans les mêmes conditions.
 
Cette dernière succession reste néanmoins discutable, en raison de l’absence de la légitimité populaire de l’intéressé qui interpelle, sous cet aspect, le caractère démocratique du pouvoir, par rapport à l’absence d’un mandat émanant du peuple, qui détient le pouvoir souverain et exprime sa volonté uniquement par le vote. Dès lors, ce mécanisme constitutionnel s’analyse sous l’angle de la cession d’un mandat. Or, celui-ci étant nominatif et personnel, il existe une difficulté en droit, car il n’est pas cessible. Il ne demeure pas moins une plus grande cohérence, au niveau de l’incompatibilité des fonctions exécutives et législatives. L’Exécutif gouverne et le Législatif contrôle l’action gouvernementale. Il ne peut avoir de confusion de fonction ou d’identité entre ces deux Pouvoirs, selon le principe de bonne gouvernance ou de saine gestion, qu’on ne peut pas gérer une chose et se contrôler soi-même, et que celui qui gère une chose ne peut pas être comptable devant lui-même dans un système démocratique, sauf devant le peuple ou sa représentation. Dès lors et selon cette logique, le Président de l’Assemblée Nationale, assumant le rôle du Législatif,  n’est pas qualifié à priori pour assurer l’intérim de la vacance, comme le prévoyaient les anciennes dispositions de la Constitution (2000). À supposer toujours que l’intérim de la vacance du Président de la République par le Président de l’Assemblée Nationale, emporte de fait démission de ce dernier de son poste précédent (levée de l’incompatibilité) et fonde sa légitimité sur le suffrage populaire (qualité de second mieux élu à l’échelon national), il n’en demeurerait pas moins, un détournement de l’objet de son mandat, car à aucun  moment il n’a été élu, à effet de diriger le pays (local : députation, vote direct ; national : direction d’une institution, vote indirect).
Dès lors, on peut regretter au regard de ces deux difficultés (Premier Ministre et Président de l’Assemblée Nationale) que la Constitution n’ait pas trouvé une solution plus démocratique, à la double vacance.
 
4. – Le renforcement de la décentralisation fait vivre la démocratie locale (représentation plus proche des citoyens) et instaure une gestion de proximité (rapprochement des centres et processus de décision). Cette avancée se traduit dans deux directions : a) une plus grande autonomie (libre administration des territoires concernés Art. 172-1 et une compétence pour mobiliser des ressources propres Art 173) b) une interdiction de transfert de compétence, sans contrepartie équilibrée (Art. 174).
 
E) – La conservation et la cession de la souveraineté
 
1. -  Pour la première fois, l’option panafricaniste de l’État est affirmée avec force, et c’est une novation de taille.  Elle le dispose à l’intégration africaine et à la construction de l’unité africaine par une participation active et un abandon partiel de souveraineté lorsque nécessaire (Art.  124). Cette vision traduit la vocation de l’État à se fondre dans le futur, dans un ensemble plus viable pour garantir son indépendance réelle et amorcer son émergence économique.
 
2 - Tirant les enseignements de la crise institutionnelle de 2010 suite au grave dysfonctionnement du Conseil Constitutionnel (revoir ses deux décisions relatives à l’élection présidentielle), la norme constitutionnelle rappelle un principe de droit international public impératif (la supériorité de l’autorité de la loi extraterritoriale sur la norme interne). Cette novation peut être considérée comme une avancée, en ce sens qu’elle érige un rempart, contre la répétition de la cause principale de la crise électorale de 2010. Art. 123
 
                                                            CONCLUSIONS
 
Le Projet de Constitution que nous avons examiné de façon complète apporte des avancées démocratiques incontestables dans de nombreux domaines. Les fondements d’un État moderne et démocratique y sont globalement respectés :
  • expression de la souveraineté populaire 
  • séparation des pouvoirs,
  • respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales
 
1 – Du principe de la souveraineté populaire :
 
D’abord, le peuple souverain est correctement représenté (communautés de base et territoires), si l’on excepte la tâche d’huile de la nomination d’un tiers des sénateurs. C’est donc lui (le peuple), qui par ce moyen indirect (représentation), fixe les règles de vie et contrôle l’action de ceux qui gouvernent en son nom (élection au suffrage universel). Sa volonté s’exprime librement (vote et votation)  à travers un processus adéquat (indépendance des autorités de contrôle) et les décisions que prennent ses dirigeants, obéissent aux lois édictées par ses représentants. Ensuite, les fondamentaux permettant la prise en compte de la volonté du peuple souverain (ensemble des citoyens) sont présents dans le Projet : les  prérogatives de la citoyenneté sont respectées, l’égalité des citoyens devant la loi est assurée, le pluralisme politique existe, les minorités politiques sont protégées, l’opposition est reconnue et jouit de droits spécifiques pour l’inclure et l’associer aux décisions, les élections sont fréquentes pour permettre le renouvellement du personnel politique et l’alternance du pouvoir. Enfin,  la règle de la majorité est respectée et est encadrée pour prévenir des abus ou une position de domination inacceptable. Dès lors, que ces garanties existent, le principe de la souveraineté populaire est sauf, dans la mesure où tous l’ensemble des citoyens y participent.
 
2 – De la séparation et de l’indépendance des pouvoirs
 
La spécialisation des fonctions est suffisante. Les interpénétrations qu’on observe sont le plus souvent inévitables (nominations et autres). La séparation ne peut pas être totale. Elle n’existe d’ailleurs dans aucun système. La question de fonds reste donc la question des contrepouvoirs et de l’équilibre des rapports entre ces pouvoirs. Or, le Projet de constitution fait le choix délibéré d’un modèle approché (régime présidentiel), avec les avantages et les inconvénients qu’il comporte. Celui-ci n’est pas anti-démocratique par définition. Il faut observer de quels pouvoirs dispose chaque organe (nomination, droit de véto, dissolution, destitution, droit de regard), vérifier qu’ils soient placés au même niveau (indépendance, autorité et force)  et qu’ils permettent de prévenir des abus potentiels (despotisme, arbitraire, impunité, contrôle monopolistique). Or, si les modes de nomination restent identiques à ceux de la Constitution de 2000, ceux-ci augmentent en nombre et empiètent désormais sur le domaine du Pouvoir Législatif (sénateurs). Par ailleurs, l’indépendance de la justice n’a jamais été totalement assurée dans l’une comme dans l’autre. Au total, le Projet porte atteinte au prince de la séparation et consacre une présidentialisation prononcée.
 
3 – Des droits et des libertés fondamentales :
 
Les droits de l’homme et les libertés publiques ont été renforcées et jouissent de garanties et de protections  nouvelles, qui marquent un net progrès de l’état de droit et de la démocratie dans le Projet. On ne peut le lui reprocher, bien au contraire. On ne peut que se réjouir de cette avancée majeure (contrepoids).
 
En conclusion, l’encadrement textuel que donne une Constitution ne prime pas sur son application (respect des règles) et la pratique (effectivité de la réalité et comportement). Il existe un écart encore trop important, donc une marge  de progression. Dès lors, il convient de se faire un jugement éclairé des forces et des faiblesses du Projet (balance) et d’utiliser son droit de vote pour exprimer sa volonté souveraine, en respectant la liberté et le choix des uns et des autres. C’est aussi cela la démocratie.



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