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Prendre (sexuellement) position ? Jamais

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En théorie, le Kama-sutra permet de se donner une idée du champ des possibles (pour peu qu’on appartienne à l’équipe de gymnastique des JO). En pratique, les positions sont aussi aberrantes qu’obsessionnellement répétitives.
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Miniature extraite du Kama-sutra, composé par Vatsyayana, entre le IVe et le VIIe siècle après J-C.

A l’heure où vous lisez ces lignes, le site de vente en ligne Amazon propose plus de 11 700 résultats pour la recherche « Kama-sutra » − vous trouverez des versions pour les filles (rappel : en 2016, les femmes restent des filles), pour les célibataires, pour les chats, pour les grenouilles, pour débutants, pour experts, pour gays, pour lesbiennes, des versions illustrées, en cartes à jouer, en DVD, en jeux de plateau, en breton, en chocolat, en huiles parfumées, à colorier, à tricoter, bref le Kama-sutra fait vendre, n’importe comment, n’importe quoi.

L’indéboulonnable succès en librairie du best-seller indien interpelle. Nous n’en lisons pas la version complète : dans l’immense majorité des cas, nous attendons du Kama-sutra un catalogue de positions sexuelles délicieusement exotiques − une sorte d’orientalisme soft, qui nous place plutôt comme spectateurs que comme acteurs, plutôt en sarcastiques qu’en admirateurs. On ricane, sans méchanceté. En théorie le Kama-sutra permet de se donner une idée du champ des possibles (pour peu qu’on appartienne à l’équipe de gymnastique des Jeux olympiques, mais bon, ne nous laissons pas abattre par des détails comme l’existence, chez la plupart d’entre nous, d’une colonne vertébrale). On s’inspire. On laisse traîner, négligemment, sur la table à café du salon, un des rares livres érotiques socialement acceptables (« Oui, j’aime les classiques de l’Extrême-Orient, tu fais quoi, ce soir ? »).

Un catalogue limité

En pratique, les positions sont aussi aberrantes qu’obsessionnellement répétitives. Quelqu’un dont le répertoire sexuel se limiterait au Kama-sutra ferait preuve d’une sexualité incroyablement pauvre : sauf dans le cas d’adaptations spécifiques, la version que nous lisons (et non l’originale) ne connaît que la pénétration du vagin par un pénis.
Cela laissant de côté l’art de la conversation érotique, le sexting, les baisers, les câlins, les morsures, les griffures, les pétrissages, les caresses, les massages, les sex-toys, les pénétrations anales, les pénétrations avec les doigts, les pénétrations avec la langue, les rapports oro-génitaux, les jeux prostatiques, la stimulation des testicules, du clitoris, des seins, de la nuque – bref, n’en jetons plus, le Kama-sutra réduit l’humanité au couple hétérosexuel, l’homme à un pénis, la femme à un vagin, et ça commence à faire beaucoup (ou franchement peu).
Les limitations de ce catalogue n’empêchent nullement la presse et l’édition de nous ressortir indéfiniment, et estivalement, le même bouillon de légumes sans sel des positions les plus dangereuses, les plus insolites, les plus photogéniques, les plus propices à lire ses e-mails… Alors même que les Français préfèrent les trois versions les plus banales : la levrette, le missionnaire, l’Andromaque (quand la partenaire est au-dessus), auxquelles on rajoutera les fameuses petites cuillères, pour un total emballé-pesé de quatre positions, déclinables certes, mais présentant l’indéniable avantage d’être praticables sans se fouler une vertèbre ou attraper une crampe aux mollets. Le sexe debout, formidable, mais pourquoi se donner autant de mal ?

On se fait du mal

Ce rabâchage autour des positions sexuelles en dit long sur notre vision de la sexualité : par défaut, un homme et une femme, et par défaut, la pénétration vaginale. Nous sommes dans le royaume du génital pur et dur : on ne parle même pas d’angle, même pas de vitesse, même pas de ce qui se produit une fois la fameuse position atteinte. La performance est graphique, elle fait de nous des illustrations. Sages comme des images. A l’heure où les conséquences du « spectatoring » (le fait de se regarder faire l’amour, comme si nous nous trouvions à l’extérieur de la scène) sont bien connues (troubles de l’érection pour les hommes, moindre satisfaction sexuelle pour les femmes), la persistance de l’intérêt pour le Kama-sutra est un véritable mystère : on se fait du mal.
Du pur génital donc, sans âme, mais pas sans conséquence politique. Le cérébral ? Quel cérébral ? Les autres parties du corps ? Mais pour quoi faire, enfin, madame la Mairesse, monsieur le Curé ? Les fameuses 69 positions (ou 64, ou 112, ou 365, selon le plan marketing en vigueur) se réduisent finalement à une seule – celle qui arrange l’ordre social, celle qui permet de produire des enfants, donc de la force de travail/de la chair à canon/de futurs chômeurs (rayez les mentions inutiles).
Ce qu’on nous vend comme le champ des possibles démontre à peine le champ de l’acceptable. Opter pour l’amazone plutôt que pour la toupie cambodgienne ne révèle rien de notre personnalité ou même de nos réelles préférences. La levrette n’est pas subversive. Si on prétend que positionner « la femme au-dessus » relève d’une quelconque remise en cause du patriarcat, désolée, l’arnaque est trop énorme, la symbolique un peu faible.

Le désir ne se catalogue pas

La seule subversion possible consiste à prendre son Kama-sutra pour en rire – à le prendre, aussi, pour ce qu’il est : une réminiscence du passé, aussi sexuellement pertinente que le Bottin téléphonique de la Meurthe-et-Moselle année 1956. La sexualité commence quand on arrête de se poser la question de l’autre en termes de mobilier à déplacer autour de son orifice/excroissance favorite, quand on arrête de se demander « Combien de positions il enchaîne ? », « Est-ce que tu as essayé la reverse cow-girl ? » ou « Est-ce qu’elle accepte de se mettre à quatre pattes ? ».
La sexualité commence quand on se demande comment les corps peuvent communiquer sur le mode du désir : comment on se regarde, comment on se parle, comment on s’imagine, ce qu’on projette sur l’autre, ce qu’on aimerait lui faire, ce qu’on n’aimerait surtout pas qu’il/elle nous inflige – bien avant de pénétrer quoi que ce soit, avec ou sans pénis, avec ou sans vagin, et surtout, non seulement avant mais bien après une quelconque interaction physique. Le désir ne se catalogue pas. Ne se réduit pas à 11 700 occurrences. Le désir ne se commande pas sur des sites de grande distribution, n’est pas reproductible à l’échelle planétaire, à un continent de distance et quatorze siècles d’écart. Il ne se coule pas dans des codes pratiques, dans des symboliques douteuses, dans des contorsions physiques.
Nous ne sommes pas réductibles à des cubes de Tetris, à des emboîtements. Le discours sexuel moderne ne fait que déconstruire les boîtes confortables, les pénétrations à sens unique. Et peut-être tenons-nous là, finalement, les raisons du succès du Kama-sutra. Nous l’aimons d’abord parce qu’il est graphique dans une société du spectacle. Mais nous l’apprécions aussi, et surtout, parce qu’il permet de ranger la sexualité, de la tenir en place, de la quantifier. Nous consommons des positions sexuelles parce qu’on sait exactement ce qu’on y trouvera, parce qu’on a la garantie que les moutons seront bien gardés. Le Kama-sutra rassure, comme une comptine pour adultes, dans un nouvel ordre sexuel dont la caractéristique première est précisément… de refuser de prendre position.
 
 



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