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Victoria Bateman, à poil à gratter

Publié le :

Photo Manuel Vazquez pour Libération

Habituée des déshabillés politiques, cette brillante économiste enseignante à Cambridge pose nue contre le Brexit.
 
La première fois qu’on l’a vue, elle était nue. Sur sa poitrine et son ventre, elle avait tracé quatre mots au feutre noir : «Brexit leaves Britain naked», «le Brexit laisse le Royaume-Uni nu». En face d’elle, le journaliste vétéran John Humphrys était, une fois n’est pas coutume, à court de mots. C’était à l’aube, dans un studio radio de la BBC, et Victoria Bateman venait de faire glisser de ses épaules le manteau sous lequel elle était arrivée dénudée. De sa petite voix pointue, la docteure en économie et enseignante à Cambridge suggérait un débat dénudé sur le Brexit avec le député conservateur Jacob Rees-Mogg, fervent partisan de la sortie de l’Union européenne et impossible à imaginer nu. Il n’a pas relevé le gant. La deuxième fois, à la Tate Gallery, elle était habillée, col roulé, manteau sage et mains gantées de cuir rouge. Teint pâle, longue tresse enroulée sur la tête, elle a des manières délicates, un petit air de Mary Poppins, un peu aussi celui des portraits féminins de Gwen John, une artiste galloise du début du XXe siècle qu’elle aime. Les dizaines de femmes qu’elle a peintes arborent toutes un air grave, presque triste. Habillées ou dénudées, elles tiennent souvent à la main un livre, comme si la peintre avait voulu réconcilier le corps et l’esprit de ces femmes avant de les figer sur ses toiles.
Il y a en Victoria Bateman une gravité et un contrôle de soi qui ne la quittent jamais. Elle n’a pas la nudité légère, n’a rien d’une exhibitionniste et ne s’identifie pas du tout au mouvement radical des Femen. Son féminisme est une évidence, pas une bataille. Elle vit sa nudité comme un geste artistique, un complément à sa carrière académique brillante. «Parfois, les mots ne suffisent pas», dit-elle. Elle sort pourtant ces jours-ci un nouveau livre, The Sex Factor, où elle questionne le rôle de la femme dans le développement économique de l’Occident. Sa première incursion dénudée date de 2014 et n’a rien à voir avec le Brexit. Elle commande au peintre Anthony Connolly un tableau d’elle, nue, pour une exposition de tableaux de personnalités. Elle est la seule à poser dans le plus simple appareil. «Ce sont rarement les femmes peintes qui décident de ce à quoi le tableau ressemblera. Là, j’ai tout choisi.» Elle tient à montrer qu’un «corps de femme n’a pas à évoquer seulement le sexe ou la maternité».
Ses messages ne sont pas tous liés au Brexit, parfois elle inscrit aussi sur ses seins «Mon corps, mon choix». Pas «uniquement en rapport avec le droit à l’avortement, ça concerne aussi la prostitution», dont elle soutient la légalisation, ou «le choix de s’exposer ou pas, d’enfanter, ou pas». Ce dernier choix, à 39 ans et mariée depuis quatorze ans à un économiste dans la finance, elle ne l’a pas encore fait.
Dans sa famille, certains se disent gênés par sa nudité. «Tu as tellement bien réussi avec ton cerveau, pourquoi tu t’exposes ? Tu vas perdre tout le respect que tu suscitais», lui dit-on. Elle secoue la tête. «Je refuse ça, c’est exactement ce que je remets en question par mes actions.» Si sa nudité interpelle, sa gravité empêche la distraction, et elle déroule, imperturbable, ses messages. Sa consœur universitaire Ruth Scurr salue ses «vues toujours issues d’un raisonnement très réfléchi. Victoria est une farouche féministe qui a décidé d’utiliser la nudité pour attirer l’attention sur ses arguments économiques et sociaux». Parfois, Victoria Bateman semble sortie d’un conte de fées. Lorsqu’elle attaque le Brexit, elle cite le récit d’Andersen, les Habits neufs de l’empereur, où le vaniteux monarque finit nu, convaincu d’être vêtu d’un magnifique costume qu’il ne voit pas. «Le Royaume-Uni a plein de problèmes, mais l’Union européenne n’en est certainement pas responsable, et le Brexit n’en apportera pas les solutions.» E lle ne veut pas dire pour qui elle vote, mais ne croit ni au communisme ni au marché parfait.
Pas naturiste pour un sou, elle ne se déshabille pas en public tous les jours, «jamais lorsque je donne des cours», choisit ses moments avec soin. En juillet 2016, elle débarque nue dans un séminaire d’économistes. Quelques mois plus tard, elle donne une conférence à l’Office national des statistiques, quelques billets de banque collés aux endroits stratégiques.
Elle est née en 1979, «l’année de l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir et du début de la désindustrialisation du Royaume-Uni». Elle a grandi à Oldham, une banlieue de Manchester qui a voté à plus de 60 % pour le Brexit. Ses grands-parents travaillaient dans l’industrie textile, son père dans celle de l’acier. Après avoir essayé de se lancer à son compte, il perd tout au début des années 90, quand l’économie britannique plonge dans une grave récession. «Mes parents ont bossé très dur, mais j’ai réalisé que quelquefois, aussi dur que vous travaillez dans la vie, ça ne suffit pas. C’est la face dure du capitalisme.» Le couple divorce alors qu’elle a 14 ans. Elle reste avec sa mère et ses deux plus jeunes sœurs. Leur situation matérielle se dégrade encore. Elle se souvient de l’humiliation des tickets repas gratuits à la cantine scolaire. «Tout le monde voyait qui étaient les plus pauvres des plus pauvres.»Alors elle saute les repas, se réfugie dans les livres. «Mes études étaient le seul moyen de contrôle que j’avais sur ma vie.» «Déjà minuscule, un peu bizarre et bonne élève», elle est une tête de Turc à l’école. Aujourd’hui encore, elle avoue cette inquiétude qui lui vient si elle entend un rire près d’elle. Des trois sœurs, elle est la seule à avoir suivi des hautes études. Une a quitté l’école à 16 ans, avant de suivre plus tard des cours du soir. La plus jeune est tombée enceinte à 15 ans. «C’est une maman formidable, mais sa vie est très très difficile.»
La troisième fois qu’on l’a rencontrée, elle était d’abord habillée. Puis, dans l’antichambre de sa magnifique demeure dans la campagne du Cambridgeshire, elle a simplement tiré sur la fermeture Eclair et sa robe a glissé à ses pieds. Elle était à nouveau nue. Elle a pausé pour le photographe tout en poursuivant la conversation. Dans son salon gorgé d’œuvres d’art, des globes de verre délicats accueillent des nuées de papillons, comme des bouquets soigneusement figés. «J’aime beaucoup les papillons, ce sont des créatures fascinantes, si délicates et fragiles en apparence, mais aussi remarquablement fortes.» Le photographe suggère une photo les cheveux lâchés. Elle refuse net. «Je n’ai pas coupé mes cheveux depuis vingt et un ans.» Elle explique que libre, sa chevelure traîne sur le sol. Après Andersen, nous voici dans Raiponce, le conte de Grimm. Pourquoi ce refus de couper et de détacher sa chevelure ? «Je ne sais pas, j’ai longtemps porté les cheveux longs pour dissimuler mon visage, et puis j’ai trouvé cette coiffure en couronne, elle me donne de la force.»

1979: naissance.
2009: enseignante à Cambridge University.
2018: donne une conférence nue sur féminisme et économie.
2019: dénonce, nue, «la Vérité nue du Brexit».
 



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