Le président de la République a accordé une grâce sans expulsion du territoire à cette jeune femme ivoirienne, condamnée à vingt ans de réclusion pour avoir tué le fils de son employeur et grièvement blessé ce dernier, alors que tous les deux l'avaient violée.
Hier après-midi, l'ami, et très bientôt mari de Véronique Akobé, était assis à la terrasse d'un café devant la prison de Rennes. Il guettait sa sortie, ses premiers pas de femme libre, après neuf ans d'incarcération. Depuis le début de la semaine, la jeune ivoirienne savait qu'elle était graciée. «Une grâce totale», a précisé l'Elysée, sans expulsion du territoire.
Sa joie, contenue dans quelques mètres carrés de cellule, ne pouvait franchir les vitres du parloir. La prisonnière avait atteint son quota de visites depuis un mois. Elle est sortie hier, en fin d'après-midi. Son bonheur était partagé par toutes celles et ceux qui l'ont soutenue, ses proches, son avocate, l'Association contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) et les milliers de femmes et d'hommes qui ont crié leur indignation devant les conditions de son procès et la peine tombée comme un couperet, vingt ans de réclusion. «C'est la fin de neuf années d'enfer», a dit hier son compagnon, Jean-Jacques Le Devehat.
Un enfer sur lequel il faut bien revenir, pour prendre la mesure de cette longue lutte, celle de Véronique, au début seule, devenue collective.
En janvier 1990, la cour d'assises des Alpes-Maritimes condamne une jeune employée de maison africaine à vingt ans de réclusion criminelle pour avoir tué le fils de son employeur et blessé grièvement l'homme qui l'avait embauchée.
A aucun moment du procès, la cour ne prend en considération les viols commis par les deux hommes sur «cette femme à tout faire», comme ils l'a considéraient, employée au noir, sans carte de séjour, n'osant se plaindre à la police.
Les violences sexuelles sont balayées par les juges et écartées par son avocat commis d'office, Me Peyrat, actuel maire de Nice et représentant à l'époque du Front national dans la ville.
Véronique a pourtant dénoncé ces viols dès son interpellation, en janvier 1987, une expertise médicale effectuée au même moment les confirme. La jeune femme répétait sans cesse: «J'ai voulu me venger de ceux qui m'avaient traitée comme une bête.»
A l'attendu du verdict, un comité de soutien à Véronique Akobé se crée, relayé en 1995 par l'AVFT, rejointe par des associations pour les droits de l'homme, des syndicats, des partis politiques.
La mobilisation pour la grâce de la jeune ivoirienne rebondit sur l'élan de solidarité internationale en faveur de l'esclave philippine, Sarah Balabagan, condamnée pour un même crime.
«Il ne peut y avoir d'exigence de justice à géographie variable, écrivait en mars dernier la présidente de l'AVFT, Marie-Victoire Louis. Une même solidarité doit s'exprimer pour Véronique Akobé.»
Appel entendu plus de 44.000 signatures ont été recueillies.«Sarah Balabagan a eu la vie sauve, car la conférence mondiale des femmes de Pékin a permis de faire connaître ce scandale. Ce mouvement a été le point de départ d'une forte mobilisation en faveur des femmes opprimées. Je me félicite de la décision du président de la République», commente la sénatrice communiste Michelle Demessine, signataire de l'appel des femmes parlementaires pour la grâce de Véronique Akobé.
Une grâce en forme de «reconnaissance par le président de la République de la réalité du dossier et du fait que Véronique a été réellement victime», a déclaré hier son avocate, Me Gallot-Lavallée. Pour l'AVFT, «le débat n'est cependant pas clos: le scandale de ce procès partial, sexiste, raciste, marqué par des préjugés de classe demeure».
ANNE CICCO.
In humanité 4 Juillet, 1996