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Societe

« L’âge d’or sera pour demain ! » 1er volet

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Pour conjurer le pessimisme africain
Dédié au Pr Séry Bailly. En guise d’excuses publiques pour la réaction inélégante que j’aie eue à son encontre au cours d’un colloque sur Bernard Zadi. Université de Cocody/ Houphouët-Boigny.
 *
 J’ai refermé, il y a peu de temps, le fabuleux roman de l’écrivain ghanéen Ayi Kwei Armah : « L’âge d’or n’est pas pour demain » ― traduction française du titre original « The beautyful ones are not yet born. » Je ne sais plus combien de fois ai-je relu ce livre captivant et interpelateur. Paru à Boston (Usa) en 1968, il sera offert à l’espace francophone grâce à la précieuse traduction en français par Josette et Robert Mane, en 1976, soit huit années après. Souvenir joyeux : c’est au cours d’une année académique (1978-1979, je crois) qu’alors étudiant, j’eus connaissance de ce merveilleux texte, à l’occasion d’un séminaire sur la littérature négro africaine. La communication du jour portait sur ce roman inconnu de la plupart des étudiants que nous étions. L’exposant, un jeune assistant au département d’anglais, répondait au nom de Séry Bailly. Non, ce nom ne disait vraiment rien à nous autres du département des Lettres modernes qui pouvions nous vanter d’avoir des enseignants de renom : Barthélemy Kotchy, Bernard Zadi, Emmanuel Groga, Gérard Lezou, Jean Derive, Madeleine Borgomano, Léonard Kodjo.
Le standing ovation qui salua la fin de la prestation oratoire de Séry Bailly en dit long sur la qualité de cette intervention qui, de l’avis des étudiants que nous étions, fut la plus brillante de tous les exposés que nous avaient livrés nos professeurs. Et, depuis ce jour, l’admiration qu’étudiant j’eus pour ce jeune assistant brillant et d’un commerce agréable ne s’est jamais émoussée ; ce, malgré nos divergences politiques — il n’est pas inutile de le signaler. C’est que le prof Séry Bailly est, outre un intellectuel de stature académique impressionnante, un homme de qualité exceptionnelle aussi, dans ses rapports avec l’autre. Bref, revenons au texte d’Ayi Kwei.
« L’âge d’or n’est pas pour demain », c’est 227 pages d’écrits dont la modernité esthétique continue d’émerveiller le lecteur averti. Ici, la forme et le fond s’alertent sans cesse sur la toile d’écrits [1] saisissants qui s’interpellent, se conjuguent pour nous offrir un roman de haute qualité. Et quel récit ! L’habile romancier ghanéen écrit, décrit et décrie les tourments de la société ghanéenne des années 1950-60. Elles correspondent aux temps décisifs de la lutte émancipatrice (les années 1950) et au règne de Kwame Nkrumah (1958-1968.) Dix années d’un règne historiquement marqué par l’échec du chantre du panafricanisme africain dans son incapacité à faire le bonheur de son peuple, à plus forte raison, promouvoir un idéal de solidarité entre les peuples africains, et d’éveil du peuple noir.
Nkrumah : Un rêve mort, un « tam-tam crevé » (Césaire). Un cauchemar inattendu et brutal. Ainsi pourrait-on qualifier le règne de cet homme à la jactance prometteuse, et dont la folie des grandeurs, du faste improductif, l’autoritarisme et la haute surestime de soi avaient fait un supra homme, au-dessus de ses concitoyens : « Osageyfo » — celui qui tient son pouvoir de Dieu, se fit-il alors appeler. Les promesses de grandeur de l’Afrique virèrent au cauchemar d’un règne qui consacra plutôt l’avènement d’une classe de saprophytes et de cols blancs qui appauvrirent la Gold Coast (la Côte de l’Or – Ghana.) C’est une société gangrenée d’antivaleurs et de pestilences innommables que nous décrit Ayi Kwei Armah. Ici, l’air est vicié, l’horizon est sale, le sol est décomposé, l’âme des hommes est corrompue, les esprits sont sans cesse captivés par l’obsession du gain facile. A la page 29, nous lisons ceci : « (…) il y avait tant de mains et de doigts pour aider le bois dans sa progression vers la pourriture : les doigts de la main gauche, glissant négligemment le long de la rampe après avoir été se frotter du côté de l’anus, quand leurs propriétaires remontaient d’une visite aux cabinets. Les doigts de la main droite encore humide d’urines et de la sueur d’entre-jambes gras. » (P. 20). Plus loin, nous lisons : « Son haleine fétide avait l’odeur âcre du sang menstruel décomposé. L’homme retint sa respiration pour laisser à cette nouvelle odeur le temps de se dissoudre dans l’atmosphère déliquescente des gaz lâchés par l’homme du parti. (…) un gargouillis (…), un tonnerre de pets qui semblaient se répercuter depuis sa gorge de bâfreur  jusqu’à son estomac et ses entrailles d’homme pourri pour s’achever dans la pollution silencieuse d’un air déjà lourd de toutes les flatulences de la peur. » P. 187. C’est vraiment, ici, le procès d’un monde corrompu, en putréfaction même et sans espoir de rémission.
Corruption. Voilà le mot, dans son sens le plus significatif, pour désigner la société que dépeint habilement Ayi Kwei : un monde qui a perdu sa pureté originelle pour se vautrer dans la fange. Un monde de citoyens ayant perdu tout sens de l’initiative et vivant sans projection, indifférents aux prévarications d’un régime absents des préoccupations du peuple. Que devient, dans un tel monde, les (rares) citoyens dotés d’une conscience éthique ?
La solitude des purs
Ces purs sont dépeints comme une espèce d’hommes rares — c’est une évidence ; mais aussi, et malheureusement, comme des êtres torturés et en profonde contradiction avec eux-mêmes : ce sont des « chichidodo », un oiseau qui refuse les excréments, mais se nourrit d’asticots — produits des latrines. La métaphore est bellement expressive : ces excréments, c’est l’argent sale (car mal acquis) dont se nourrit l’élite de la société ghanéenne faussement aseptisée et décrite dans ce roman ; les asticots (une synecdoque des fosses d’aisance) désignent, quant à eux, le climat de décomposition de cette société dans laquelle vivent pourtant ceux-là qui s’entêtent (et avec raison) à refuser la pourriture : « Dans cette propreté-là, il y a plus de pourriture que dans la vase au fond du dépôt d’ordures », dit le héros. (P.56).
Comment survivre à un tel monde ? Comment y vivre surtout ? Une seule possibilité : s’armer d’une carapace éthique. Le roman nous offre ainsi à voir la résistance éthique menée par quatre personnages dépeints en demi-teinte comme le ferait un peintre impressionniste : Kofi Billy, Maanan, le Maître, l’Homme (The man.) Ce sont les résistants au pessimisme et à la puanteur générale qui a mené le pays à la décomposition et à l’amertume défaitiste. Les personnages de « Le Maître » et surtout l’Homme, sont les plus porteurs de ce combat. Leur résistance est une lutte intérieure, de nature mentale et spirituelle, contre les tentations de l’enrichissement illicite. C’est une double résistance éthique et philosophique, un combat contre les forces obscures de domination, pour la quête de la lumière ; en somme, l’éternel duel entre l’éclat assourdissant de l’existence et l’attrait discret de l’essence, l’opposition entre l’Avoir et l’Etre. Oui, pour livrer un tel combat, il faut vraiment être un « Man – Yassoua comme dirait l’écrivain ivoirien Zégoua Gbessi Nokan.) Et The man triomphera. Pour l’avènement de l’Homme, car c’est à lui, cette valeur essentielle, que reviendra toujours la décision finale de laisser la société aller au trébuchement (par le renoncement et la capitulation face aux antivaleurs) ou à l’élévation par un sursaut intérieur, qualitatif.
Le roman s’achève sur trois précieuses images dont le décodage peut perturber le lecteur : une inscription pessimiste (The beautiful ones are not yet born) sur un autobus ; un oiseau qui se pose sur le toit des latrines d’une école, en chantant un air heureux [2] ; enfin, celle du héros, The Man, retournant chez lui à la maison, en pensant à son épouse Oyo, en pensant aussi aux « yeux de ses enfants (…) et surtout à l’infinie certitude du néant douloureux que pouvait seulement lui offrir le reste de sa vie. » Cette succession de tableaux ressemble à une astuce de romancier ; Ayi Kwéi réussit en effet, là, à faire éclater son discours en une polychromie nécessairement polysémique ; cela lui permet d’ouvrir la trame de son histoire sur d’autres perspective narratives — la continuation d’un combat qui est loin d’être terminée, même si, dans l’ensemble, le pessimisme l’emporte : « The beautiful ones are not yet born » / L’âge d’or n’est pas pour demain. » Et nul lecteur ‘‘africanophile’’ ne peut contester à Ayi Kwei son droit au pessimisme qui habite ce roman et qui a sans doute infecté son esprit — on n’écrit que ce que l’on ressent. Plus d’un demi-siècle après leurs indépendances, la plupart des pays africains peinent sous le poids de ‘‘dirigeances’’ malhabiles, de régimes corrompus et corrupteurs, incapables de produire une utopie du réveil national, à plus forte raison, continental. A l’image du régime corrompu de Nkrumah, la plupart des pouvoirs africains ne sont que de pauvres équipes gouvernementales que n’animent aucun sursaut salutaire, aucun sens de l’intérêt général, aucun projet d’envergure populaire à même de susciter l’euphorie des masses.
La caractéristique des œuvres est d’être reconnues effectivement belles ; celle des chefs d’œuvre est d’échapper aux morsures du temps en survolant les époques et les espaces pour, toujours, questionner les esprits et servir de mode d’évaluation du réel. « L’âge d’or n’est pas pour demain » appartient à cette dernière catégorie, très sélective, de textes élus (sur la base de leurs qualités esthétiques et cognitives) pour figurer sur la liste des écrits immortels. C’est un texte qui résonne de nos actualités africaines, ivoiriennes notamment. La société, les espaces, les personnages, les intrigues exposés ici par Ayi Kwei ressemblent, à maints égards, à l’actualité désespérante de la société ivoirienne ; une société en état de forte décomposition éthique, en proie à mille et une pestilences. L’élite politique mauvaise décrite dans cette belle géniale est vraiment l’originale de la faune de vautours, termites et hyènes enragés qui plane dessus le peuple ivoirien en peine ; ce peuple sucé comme une sangsue des marécages par les vils collaborateurs du roi. Ce chef d’Etat invisible (dans le texte) mais dont l’ombre de l’action, malheureuse, conduit le pays à sa perte en tolérant maints actes de prévarication anti républicaine. Vous avez dit « fiction » ? « L’âge d’or n’est pas pour demain » devra être lu (par ceux des lecteurs africains qui ne l’ont pas encore fait), et relire.
Tiburce Koffi
Enseignant, critique littéraire
 
 
Ayi Kwei Armah, L’âge d’or n’est pas pour demain, Paris, Présence africaine, 1976.     

[1]  C’est la mention que porte ce roman, comme information esthétique.
[2] Le texte dit : « Au pied de la colline, un oiseau vint se poser sur le toit des latrines de l’école et entonna un chant étrangement heureux. » On peut se permettre de sourire à la lecture de cette phrase qui dénote soit une erreur de traduction, soit une naïveté de l’écrivain narrateur : comment savoir si le chant (est-ce vraiment un chant ?) d’un oiseau est heureux ou non ? Le « chant des oiseaux » est une invention de l’Homme ; elle révèle, en réalité, l’âme poétique de l’Etre humain.
 



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