On dit souvent qu’on ne jette pas la pierre à sa patrie ou à sa fratrie. On la lapide toujours avec une motte de terre. Parce qu’on ne se retourne pas contre les siens. On ne scie pas la branche sur laquelle on est assis. On dit souvent que les liens de famille ne se lavent pas, parce que la famille est sacrée. On ne choisit pas sa famille. On ne choisit pas son frère, son père ou sa mère. On ne refait pas sa famille. On vit avec ! Mais savez-vous que parfois et même souvent, l’anguille est tapie dans la famille ? Très souvent, c’est votre propre frère qui vous plante la dague dans le dos. Votre propre sœur a une dent contre vous. La main qui vous empoisonne est celle qui vous donne souvent des câlins. Ça a l’air bénin, mais c’est là où il y a le venin. J’ai peur des dents trop blanches. J’ai peur des embrassades qui étreignent pour étouffer. J’ai horreur de la fraternité qui aime dans la douleur de l’inimitié. Finalement, le cordon ombilical n’est qu’un torchon bancal, raccommodé pour jouir ou pour nuire. Par intérêt, la famille t’encensera pour être dans tes bonnes grâces. Par opportunisme, la famille élèvera le petit frère sur les restes du grand frère sans broutille. On te tendra la perche aujourd’hui pour mieux te pêcher demain. Chaque coup de main est un placement que l’on fait pour l’avenir. On ne donne plus avec le cœur, on donne avec la main droite pour récupérer avec la gauche. Celui qui t’aidera à grimper aujourd’hui attends que tu lui rembourses demain au centuple, les fruits de son investissement. Certains t’imposeront même la rançon de leur générosité. Même attentionnés de bonne foi, vous serez taxés d’ingrats en cas d’incapacité à répondre aux attentes. La famille, une torpille endormie aux étreintes électriques.
Pourquoi c’est en famille que les pires scènes de jalousie se trament-elles ? Pourquoi est-ce en famille qu’on nous ovationne en nous souhaitant en sourdine la chute ? Pourquoi celui qui tend la main attend-il toujours un retour sur investissement à 200% ? Et d’où viennent ces serpents qui sifflent dans notre sein ? D’où viennent ces souris qui mordent et soufflent à la fois ? La famille est un mal nécessaire, mais les maux qui la minent sont parfois suicidaires. Quand deux frères de sang se détestent jusqu’au bord de la tombe, sans se pardonner ; quand deux sœurs se mijotent leur haine jusqu’aux viscères ; quand la mère et le fils se renient au point d’oublier que l’une est l’autre écorce ; quand le père et le fils se regardent en chiens de faïence au point d’avoir une dent l’un contre l’autre ; a quoi sert vraiment le lien de sang ? A quoi servent nos vies de famille si nos liens sont ficelés dans l’hypocrisie ? Je vous haie tous, avec un amour sincère. Je me méfie de vous comme on se confie au diable. Je vous aime comme vous m’aimez, le cœur masqué.
En vérité, je vous le dis, celui qui n’a pas un bon ami n’a pas de famille. Celui qui n’a pas un bon voisin n’a pas de famille. Gardez-vous du sang qui coule dans vos veines, il est parfois souillé. Très souvent, c’est l’homme de la rue qui accourt pour vous épargner le pire. Le parent de nom reste parfois de nom. Non, nous mentons tous en famille et c’est d’ailleurs mieux ainsi. Le linge sale ne se lave pas toujours en famille. Il est parfois entretenu pour pourrir l’atmosphère. Il est parfois gardé au frais pour fertiliser les rancoeurs et susciter les rancunes. Tout ce qui s’assemble se ressemble, mais en famille, on n’a d’identité que par le patronyme. L’expression de la famille se résume à l’organisation de funérailles et de mariages. La solidarité tant attendue est souvent pesée et soupesée avant d’être accordée. Frappez, on vous ouvrira, mais pour vous opposer une fin de non-recevoir. Dans la rue les âmes sensibles se rueront pour te rendre service ; le service que les tiens n’ont pas su te donner. Mais reste quand même en famille et joue le jeu. Porte ton masque et fraie-toi un chemin dans le labyrinthe de l’insondable hypocrisie. Souris avec les dents et ne cède pas toujours à la naïveté de ton cœur bon. Porte ton gant et serre leur main. Quand tu manges avec eux, fais-le du bout des dents. Mais ne cède jamais à la funeste tentation de leur jeter la pierre, de rendre le coup. La famille, c’est comme un moustique sur un testicule. Si tu le tapes avec fracas, tu te tapes, patatras !
Clément ZONGO
clmentzongo@yahoo.fr