Avec sa nouvelle casquette de réalisateur, il sillonne certaines capitales africaines en ce moment pour présenter son nouveau film intitulé : Bienvenue au Gondwana. Mohamed Mustapha alias Mamane, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est chroniqueur à RFI et désormais producteur. Il est né en septembre 1966 à Agadez au Niger. Dans ses chroniques, spectacles et maintenant film, il ne manque pas de mots ou formules pour dénoncer et fustiger les injustices de ce monde. Nous lui avons tendu notre micro lors de son passage à Ouagadougou en début de semaine. C’est avec un ton empreint d’humour qu’il nous a donné son point de vue, entre autres, sur son parcours scolaire et universitaire, sur le franc CFA qui fait débat en ce moment. Lisez plutôt !
L’interview a été réalisée le lundi 17 avril 2017 devant la salle de ciné Canal Olympia Yennenga à Ouagadougou.
Le Pays : Qui est Mamane ?
Mohamed Mustapha alias Mamane : Mamane est chroniqueur sur RFI, comédien en Afrique, en France et dans le monde entier, producteur à Gondwana city production. Une boîte de production par laquelle je produis « le parlement du rire », « le festival Abidjan la capitale du rire », et « prof de foot » depuis la Côte d’Ivoire. C’est une société que j’ai créée il y a de cela cinq ans, pour créer des emplois en Afrique. C’est pour montrer l’exemple que je ne suis pas seulement en France en train de parler de l’Afrique. Je suis en Afrique où je participe à l’économie, pour monter l’exemple. Il ne suffit pas de parler, mais il faut aussi faire.
Comment êtes-vous entré à RFI ?
Par hasard. J’ai commencé par le spectacle sur scène. Les responsables de RFI ont vu ce que je faisais et ça leur a plu. Ils m’ont demandé de faire une chronique sur l’humour, qui viendrait à la fin du journal, le matin et à midi. Ils ont également demandé à plusieurs humoristes de faire cela, mais c’est ce que je leur ai proposé qu’ils ont retenu. C’est parti comme cela depuis le 19 janvier 2009. J’ai commencé la veille de l’investiture de Barack Obama. Il a fini ses deux mandats et il est parti, mais moi, en bon Gondwanais, je suis toujours là.
Mais pourquoi le choix du mot Gondwana dans vos chroniques et même dans ce film ?
Le mot Gondwana vient de mes études. C’est un ancien continent qui existait il y a des centaines de millions d’années. A l’époque, la terre était composée d’un seul continent qui s’appelait la Pangée. Puis, elle s’est divisée en 2. La partie Nord s’appelait la Laurasie. Elle regroupait l’Europe, la Russie actuelle, l’Amérique du Nord, et la 2e partie qui était au sud regroupait l’Afrique, l’Amérique du Sud, l’Asie, l’Océanie, et elle s’appelait le Gondwana. C’est une image, une parabole pour parler des pays pauvres, des pays dominés. Ce n’est pas uniquement l’Afrique.
Quels sont les chefs d’Etat en Afrique pour qui vous avez de l’estime ?
Je n’ai pas d’estime pour un homme, mais j’ai de l’estime pour les actes posés. Les gens qui posent des actes, quels qu’ils soient, s’ils sont dans l’intérêt du développement du pays, l’intérêt et la fraternité entre les peuples, l’intérêt des pauvres, je suis à fond avec eux, qu’ils soient hommes d’Etat, ministres, syndicalistes, simples citoyens, présidents de l’Assemblée nationale ou présidents. Ceux que j’admire, ce sont des gens qui travaillent dans l’intégrité, des gens qui ne pensent pas uniquement à eux mais au bien-être collectif. La vie est courte et dans 100 ans, nous ne serons plus là et nous serons oubliés. Il est bon qu’on laisse un souvenir impérissable.
Quelques noms ?
Des noms ? Non ! Je n’aime pas le culte de la personnalité. J’ai aimé ce que Barack Obama est venu dire en Afrique. Il a dit que dans nos pays, ce sont les institutions qui doivent être fortes et pas les hommes. Quand on commence à citer des hommes, c’est le culte de la personnalité. Maintenant, parmi les personnes qui ne sont plus là, il y en a qui guident nos pas. On peut parler de Thomas Sankara, Kwame N’Krumah, Patrice Lumumba, Samori Touré et j’en passe. Nous avons eu de grands hommes dans l’histoire africaine. Ce qu’il faut faire, c’est d’enseigner l’histoire de l’Afrique afin que les jeunes Africains soient fiers de leur histoire. L’esclavage, la colonisation, le racisme ont fait que les jeunes ont l’impression que l’Afrique n’a pas d’histoire. Et que l’histoire de l’Afrique n’a été faite que de domination, de soumission mais ce n’est pas vrai. Nous avons eu de grands hommes qui ont fait l’histoire de l’Afrique et il faut l’enseigner pour que nos jeunes soient fiers de ces devanciers. Il faut insister sur l’histoire pour que les jeunes Africains n’aient pas pour seules idoles des gens comme Martin Luther King, Malcolm X.
Que pensez- vous des présidents africains qui continuent de tripatouiller les Constitutions pour rester au pouvoir ?
Je n’ai pas besoin de dire quelque chose. Faites un sondage et les gens vous diront ce qu’ils pensent. On le voit au Congo Brazzaville, en RDC, au Gabon où les gens ne veulent pas se laisser voler leur avenir et leur présent. Les Burkinabè ont donné l’exemple, les Sénégalais avec Y en a marre, les Burkinabè avec le Balai citoyen. Aujourd’hui, ils sont suivis par Lucha et Filimbi en RDC, Tournons la page au Tchad. C’est la mondialisation de la colère et de la révolution.
Des voix s’élèvent de plus en plus pour dénoncer le F CFA. Quel est votre point de vue sur cette question monétaire ?
En France, il y a des candidats qui disent qu’il faut que la France sorte de l’euro. En Afrique, on se demande quand est-ce que la France va sortir du franc CFA ? Le problème, ce n’est pas tant le franc CFA lui-même mais la mainmise de la France sur le franc CFA. Il y a des aménagements à faire, mais je ne connais pas la solution idéale. Est-ce que chaque pays doit avoir sa monnaie ? On connaît les avantages d’une monnaie commune. Quand je quitte le Niger et que je passe par le Burkina, la Côte d’Ivoire ou un autre pays de l’UEMOA, je n’ai pas besoin de changer de monnaie. C’est un avantage du franc CFA. Quant à ses défauts, il faut les corriger.
Quel est votre rêve pour l’Afrique ?
Que les Africains restent en Afrique pour développer l’Afrique, restent auprès de leurs familles. Personne n’est content de quitter son pays. Moi, j’ai été obligé de quitter le Niger pour aller faire mes études en France parce qu’il n’y avait pas un 3e cycle dans une université en Afrique, dans les études que je voulais faire. C’est le drame de beaucoup de jeunes Africains qui sont obligés de quitter leur pays. Moi, j’ai eu la chance de quitter le pays pour aller étudier ailleurs, mais combien ont cette chance ? Il y en a qui recherchent juste un emploi pour survivre, traversent le désert, se noient dans la Méditerranée. Mon rêve, c’est que chacun puisse rester là où il a choisi de rester et puisse mener une vie heureuse. Mais pas une vie où il n’y a pas d’électricité, pas d’eau potable, pas de soins, pas d’école. Malheureusement, dans beaucoup de pays africains, on le voit. Dès qu’on sort de la capitale, les gens vivent comme des animaux. L’Etat les a ignorés comme s’ils ne vivaient pas dans le même pays.
Quel est votre point de vue sur les actions de la communauté internationale en Afrique puisque vous en parlez dans votre film ?
C’est très vague. Il y a du bon et du mauvais. Il ne faut pas toujours dire que l’Occident est le méchant, nous exploite. Ce n’est pas vrai. Si les Occidentaux nous exploitent, c’est qu’il y a des complices. Les pays occidentaux ne voient que leurs intérêts. Si nous sommes assez bêtes pour leur donner nos matières premières, c’est qu’il y a des complices qui leur donnent accès à nos marchés. C’est à nous de lutter contre cela.
Dans quelles conditions avez- vous réalisé le film Bienvenue au Gondwana ?
Dans de bonnes conditions. Avec une production française. En Europe, les choses sont bien organisées. Le producteur signe le contrat et cherche l’argent. Il met les conditions techniques à la disposition du réalisateur qui va réaliser le film. Il y a le distributeur qui distribue le film. Les choses sont bien organisées pour que chacun fasse son métier.
Combien a-t-il coûté ?
3,5 millions d’euros.
Pourquoi a-t-il coûté autant d’argent ?
Ce n’est pas beaucoup pour un film français. C’est un petit budget parce qu’aujourd’hui, en France, la moyenne pour réaliser un film, c’est 5 millions d’euros. Pour l’Afrique, c’est énorme. Tout le matériel technique est venu de la France. Il faut payer les techniciens français, il faut payer la post-production, il faut payer la communication. Quand on déplace une équipe de tournage dans un pays, il faut louer les maisons, les voitures, faire manger tout le monde, leur donner des salaires. Nous avons dépensé beaucoup d’argent dans l’économie ivoirienne. Accueillir une équipe de tournage, ça donne du travail à beaucoup de gens. Il faut que nos dirigeants comprennent que la culture peut être une source de revenus.
Comment Mamane prépare-t-il ses chroniques ?
J’écris tous les jours, je pense à ça et après ça mûrit dans ma tête et à un moment, je m’assois pour écrire.
Pouvez- vous revenir sur votre parcours scolaire et universitaire ?
Mon parcours est celui d’un étudiant africain. Je suis parti avec une maîtrise que j’ai eue à l’université d’Abidjan en Côte d’Ivoire. J’ai fait les deux premières années à l’Université Abdoul Moumouni à Niamey au Niger et l’école un peu partout. En Côte d’Ivoire, au Niger, au Cameroun où j’ai fait les études secondaires. J’ai fait une maîtrise en physiologie végétale. Je suis parti pour faire un DEA puis une thèse de doctorat en France puis en cours de route, j’ai complètement changé d’avis. J’ai fait un DESS et j’ai commencé à travailler et petit à petit, les week-ends, je suis rentré dans la comédie et cela a plu à une boîte de production française qui m’a produit. Voilà là où ça m’amène aujourd’hui.
Votre mot de fin ?
Je suis content d’être au Burkina. Hier nous étions au Niger. Demain nous serons au Cameroun, puis en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Ceux qui ne connaissent pas l’Afrique, la considèrent comme un pays. Alors que l’Afrique, c’est plus de 54 pays. C’est à nous, les Africains, de faire de l’Afrique un seul pays, de faire des Africains un seul peuple. Aujourd’hui, je suis au Burkina, je suis chez moi. Si je suis en Côte d’Ivoire, je suis chez moi alors que je suis du Niger. Pour aller au Cameroun, Gohou Michel, Digbeu Cravate, tous Ivoiriens et moi Nigérien, étions obligés de faire des demandes de visa alors que nous sommes des Africains. Cela n’est pas normal. Mon mot de fin, c’est l’amour entre nous, la fraternité.
Interview réalisée par Issa SIGUIRE