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C’est arrivé un 20 mars ...Bernard Zadi Zaourou : le "didiga" ou le théâtre de l'impensable

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Didiga, théâtre rituel, griotique, kotéba, duo-théâtre, mono-théâtre, etc. : le monde ivoirien du théâtre retentit, depuis les années 1980, de néologismes et de termes « barbares » qui suscitent la curiosité dans les milieux culturels africains. Les chapitres suivants[1] tentent de présenter les caractéristiques et les enjeux de ces pratiques théâtrales qui postulent innovation voire révolution.
Que pourrais-je comprendre de la vie théâtrale en Côte d'Ivoire alors que j'arrive dans le pays au creux de la saison artistique ?[2] J'appréhendais surtout de ne pas pouvoir saisir les allusions que mes interlocuteurs feraient à telle ou telle pièce déjà jouée, de ne pas pouvoir confronter leurs développements théoriques avec les prestations sur scène – car le théâtre, ce n'est pas la littérature, ce n'est pas seulement des mots. Peut-on, à travers des entretiens avec ceux qui se recommandent de telle ou telle étiquette, se faire une idée des pratiques théâtrales qui postulent innovation voire révolution ?
Avec Bernard Zadi Zaourou, en particulier, je me suis senti en confiance d'entrée de jeu. A Treichville, dans les modestes locaux du GRTO (Croupe de Recherches en Tradition orale) qu'il dirige et où il m'accueille, il réussit à me donner, en quelques minutes, une idée à peu près précise d'une esthétique théâtrale dont la formulation m'avait paru jusque-là des plus lapidaires et obscures : « Le dïdiga est l'art de l'impensable ».
Très modeste, Zadi Zaourou me dit d'emblée : « Notre esthétique en est encore à ses débuts - trois ans, cinq créations - et nous ne sommes pas pressés d'en faire la théorisation ». Pourtant, je dois avouer que, au terme de mes discussions avec les initiateurs des courants qui postulent une rénovation de la pratique théâtrale en Côte d'Ivoire, c'est du « didiga » de Zadi Zaourou que j'ai eu la définition la plus précise.
Bernard Zadi Zaourou, enseignant de profession, est maître de conférences à l'Université d'Abidjan. Il a le souci de la clarté et de la simplicité dans ses propos qu'il profère d'un ton posé. Spécialiste des questions d'esthétique et de stylistique, il consacre ses recherches universitaires à la poésie tant orale qu'écrite et on lui doit notamment dans ce domaine un Césaire entre deux cultures (NEA). Mais Bernard Zadi ne se contente pas d'écrire sur la poésie ; il la pratique aussi : ainsi il a déjà publié un recueil de poèmes, Fer de lance (P.J. Oswald, 1975) et deux pièces de théâtre Les Sofas, suivi de l'Oeil  (chez le même éditeur, la même année, repris par l'Harmattan en 1979).
Zadi Zaourou en est venu à créer sa propre troupe parce que l'INA (l'Institut national des Arts) d'Abidjan a mis en scène une autre de ses pièces, La tignasse, « d'une façon trop classique où la tradition n'intervient que comme folklore. Ç'a été un succès populaire certes, mais ce fut un véritable échec au niveau de l'esthétique ». Se livrant à un procès en règle de la pratique théâtrale courante, Bernard Zadi Zaourou déclare : « Le geste théâtral est un geste beau. La question n'est pas de recréer ce qui se passe dans le réel. La stylisation me paraît fondamentale. Il ne faut pas confondre le gros réalisme, la bouffonnerie, le gros rire avec le raffinement artistique. »
Zadi Zaourou a donc fondé le Cercle d'Animation, de Formation et de Création artistique, en abrégé… KFK.
La troupe est polyvalente : en plus de la Compagnie Didiga, section théâtrale, elle compte des sections de chorégraphie, de musique expérimentale, de danse traditionnelle, de critique littéraire et artistique, de chanson moderne. « Ma politique, explique Zadi Zaourou, est de former une nouvelle génération d'artistes capables de s'essayer aux différentes formes d'expression scénique. Qui sachent que leur corps peut parler, que leur voix peut parler - par le biais du chant. Qui sachent également que la danse est une parole et qu'elle peut être acquise par le travail ; que le discours verbal n'est qu'un langage parmi d'autres et l'artiste de scène doit travailler pour maîtriser tous les autres langages
L'esthétique du didiga paraît répondre, pour Zadi, à cette exigence d'un langage théâtral multidimensionnel. « Didiga » est un concept hérité des chasseurs bété (ethnie de Côte d'Ivoire). Zadi a utilisé le terme pour la première fois dans son recueil Fer de lance. « Le didiga, explique-t-il, est un récit sans fin qui n'est pas que proféré verbalement, mais dont l'émission est soutenue par un instrument musical particulier, le « dodo » ou arc musical - l'arc étant, par excellence ; l'instrument des chasseurs. Le récit didiga met toujours en scène un même héros appelé Djergbeugbeu qui est un chasseur hors pair. »
Concrètement voici comment se déroule un cercle de veillée à l'arc musical. Dans le cercle, se trouve un joueur d'arc qu'assistent d'autres initiés. Ces initiés constituent l'encadrement chargé de soumettre des adolescents à l'épreuve du didiga. Il s'agit, pour les postulants, de « suivre un didiga » : à la fois suivre les péripéties du récit énoncé et le décoder. On parle de récit sans fin, car les joueurs connaissent certes les récits précédents mais à chaque veillée, ils en créent de nouveaux pour enrichir le répertoire du didiga. Pour commencer la veillée, le joueur d'arc donne le noyau d'un récit déterminé ; il interpelle un adolescent qui doit reconnaître le noyau et dévoiler les différentes étapes du récit. A ce niveau, il s'agit d'une espèce de contrôle des connaissances portant sur un récit ayant fait l'objet d'une séance antérieure. L’arc suit la performance de l'élève, l'arrête, le reprend, le conspue ou lui enlève carrément la parole,
Second cas de figure : le joueur d'arc propose une situation et un récit inédits, n'ayant pas fait l'objet d'un dire préalable. Le disciple interpellé doit, séance tenante, créer, improviser son récit. En somme, l'adolescent est jeté à l'eau et ce que l'arc juge, en l'occurrence, ce sont ses capacités imaginatives, son habileté à tenir un public en haleine — tout ce qui fait, en définitive, la valeur d'un grand conteur. À l'évidence, il s'agit d'un véritable atelier de création littéraire et, dans cette seconde forme de didiga, il y a un dialogue permanent entre l'arc et l'apprenti conteur, celui-là aiguillonnant et sanctionnant celui-ci.
Compte tenu des situations que le didiga actualise, Bernard Zadi caractérise ce récit comme étant « l'art de l'impensable ». En effet, dans le didiga, contrairement au conte, par exemple, on n'est pas libre de choisir n'importe quel type de sujet. Non seulement le didiga a un héros unique dans toutes ses variantes, mais il est ultra-sélectif dans le choix des intrigues. Fondamentalement, celles-ci doivent relever de l'impensable, défier les lois physiques, la logique, le bon sens. Par exemple, Djergbeugbeu va à la pêche, jette son hameçon et tire de l'eau... une tourterelle vivante. Autre exemple : dans L’oeuf  de pierre, pièce écrite par la chorégraphe Delphine Pan Déhoué et qui a été mise en scène par Zadi, deux jumeaux se sont accouplés et de leur union incestueuse naît... un oeuf .
Aujourd'hui, commente le théoricien du didiga nouveau, nous disons, avec distanciation, qu'il s'agit de simples symboles, mais dans l'ancienne société, ces situations sont considérées comme possibles dans un univers qui n'est pas accessible à tous. Cependant, pour les artistes d'aujourd'hui qui se réfèrent au didiga, il ne s'agit pas de donner à voir, pour le simple plaisir de le faire, des situations impensables. Il s'agit, dit Zadi, de « couler les impensables vécus - qui ne se comptent plus dans nos sociétés modernes -­­ dans le moule du didiga ancien ». En tout cas, « l'option pour l'esthétique du didiga oblige le créateur à ne pas s'engager sur les sentiers battus ; elle l’oblige à imaginer des situations insolites qui choquent, qui constituent des coups d'épée dans les habitudes installées ».
La notion de didiga, souligne par ailleurs Zadi, ne peut être détachée de l'arc musical. C'est pourquoi, dit-il, « dans notre esthétique nouvelle, l'arc musical apparaît, fondamentalement, comme un personnage qui parle, qui éprouve des sentiments et qui les manifeste. Ce n'est pas le joueur qui nous intéresse, c'est l'arc. Car c'est l'arc qui assure la progression dramatique de l'oeuvre . »
De ce fait, la compréhension du didiga, reconnaît Bernard Zadi, suppose l'initiation à un certain type de langage : la parole médiatisée. En effet, le public moderne, hétérogène ne peut être initié, dans son ensemble, au langage de l'arc musical. Le didiga ne pouvant toutefois pas se concevoir sans cet instrument, les recherches menées par Zadi ont visé à « débloquer l'arc musical par rapport à la tradition bété qui le confine à des rôles précis. Il s'agit, pour nous, dans les pièces inspirées du didiga, de mettre l'accent sur l'aspect émotionnel de l'instrument de musique - qu'il s'agisse de l'arc, du tambour, de la flûte, voire de la danse. »
De telles ambitions avant-gardistes ne font pas craindre à Bernard Zadi d'être incompris du grand public. « La termitière, la première pièce montée par le KFK, a rencontré un immense succès populaire ».
« Notre ambition en direction du public consiste non pas à l'amener à renoncer aux stéréotypes auxquels on l’a habitué, mais à se montrer quelque peu critique à leur égard. Il faut arriver à sécréter un nouveau public. »
Fort de sa conviction qu'il faut rénover la conception et la pratique du théâtre, l'animateur du KFK, tout en rendant hommage à l'action menée par des pionniers comme Bienvenu Neba et Bity Moro, considère comme « fondamentalement bénéfique » la multiplicité des courants de recherches qui prétendent, en Côte d'Ivoire, rompre avec le théâtre à la papa.
In “Afrique nouvelle”, Dakar, Janvier 1984
Post scriptum : Le KFK est carrément devenu, par la suite, la Compagnie Didiga. Certaines œuvres du promoteur sont signées Bottey Zadi Zaourou. L’universitaire et syndicaliste a ajouté une corde politique à son arc en créant l’Union des Sociaux Démocrates et en entrant au gouvernement comme ministre de la Culture. Il est décédé le 20 mars 2012.
[1] Ce texte constitue un chapitre d’un ouvrage inédit intitulé Grands débats sur les littératures africaines.
[2] Publiée, début 1984, dans l’hebdomadaire Afrique nouvelle à Dakar, la série d’articles sur les innovations théâtrales en Côte d’Ivoire est issue d’une enquête (journalistique) réalisée sur le terrain quelques semaines plus tôt.
 



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