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« Les trois piliers de l’islam », une leçon de lecture du Coran pour les djihadistes

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Les Trois Piliers de l’islam. Lecture anthropologique du Coran, de Jacqueline Chabbi (Editions du Seuil, 376 p, 22 €), est sans doute – dans son domaine – l’un des livres les plus marquants de l’année 2016. Sous ce titre déroutant pour un lecteur habitué à entendre parlerdes « cinq piliers de l’islam », elle soutient une thèse qui remet en question les approches classiques de l’islam et, de ce fait, nombre de traductions du Coran.

Une chose est sûre en tout cas, l’interprétation des djihadistes – qui prétendent faire retour à la lettre du Coran et à l’islam du temps de Mahomet –, ne repose sur aucun fondement. C’est une des leçons de cet ouvrage.
 
Depuis deux ans, on ne compte plus les publications consacrées au djihad et au djihadisme. Une polémique parfois violente a même vu le jour, opposant entre eux leurs auteurs, Gilles Kepel, Olivier Roy et François Burgat, pour ne citer que les figures les plus médiatisées. Leurs analyses ne sont pas foncièrement incompatibles. Malgré les divergences affichées, elles se recoupent et se complètent. Cependant, elles ont en commun de ne pas s’intéresser à ce qui, dans l’imaginaire djihadiste, témoigne d’une méconnaissance de cet islam des origines au nom duquel ils mènent leur guerre sans merci.
Loin des querelles de chapelle, Jacqueline Chabbi, islamologue et arabisante de renom, propose une lecture historique et anthropologique du Coran. Elle prend en compte les réalités de la société tribale dans l’Arabie du VIIe siècle, son organisation, ses croyances et le milieu géographique environnant. Elle s’attache aussi aux mots pour tenter de restituer son sens au corpus coranique, non pas tel qu’on peut l’entendre aujourd’hui, mais tel que les contemporains de Mahomet l’ont reçu, dans un univers où l’oralité prédominait :
« Les mots du Coran, si on les analyse dans une perspective historique, répondent d’abord à un terrain et aux conditions de vie des hommes qui y habitent. »

« Djihad » signifie faire un effort

A propos de « djihad », notamment, elle démontre, sourates à l’appui, que le mot change de signification entre l’époque où Mahomet reçoit la révélation à La Mecque et celle de son séjour à Médine, après l’Hégire. A la période mecquoise, le mot signifie, conformément à sa racine, « faire un effort en vue de réaliser un objectif », donc de s’affronter à une difficulté. « Il n’est alors nullement question de guerre et encore moins de guerre sainte, selon le sens communément retenu aujourd’hui. »
Lors de la période médinoise, « djihad » prend une valeur plus précise, en raison des expéditions lancées par Mahomet contre ses adversaires, mais il n’en conserve pas moins sa signification originelle. En effet, pour mener ces expéditions hors de Médine, un djihad – au sens d’effort – était requis, puisqu’il fallait réunir les moyens humains et matériels nécessaires. Rien de plus habituel que de se préparer à une sortie de son territoire – guerrière ou caravanière – dans le contexte de la péninsule Arabique, terre aride et ingrate où le danger était permanent et la razzia un moyen de survie.
 
Jacqueline Chabbi rappelle aussi que la solidarité dans l’effort, qui s’exerçait à plein au sein d’un même groupe de parenté, ne concernait pas forcément les individus et les groupes extérieurs à cette parenté, sauf si ceux-ci pouvaient retirer des bénéfices appréciables d’une alliance ponctuelle en vue d’un objectif commun. Un tel pragmatisme s’imposait à des Bédouins, pour qui la perspective du butin l’emportait sans doute sur celle d’un paradis dans l’au-delà, inspiré de traditions étrangères à ces hommes du désert.
Certes, le Coran promet « des jardins sous lesquels coulent des eaux canalisées, des jardins de félicité » à ceux qui auront rallié Allah et soutenu la mission de son Messager en payant de leurs biens et de leurs personnes.
« Le meilleur combat est celui où la victoire n’implique pas ou très peu de morts d’homme, qu’il s’agisse de soi-même ou de ses adversaires. »
Mais pour Jacqueline Chabbi, l’analyste critique doit « rester dubitatif devant les promesses d’une eschatologie d’importation, même si elle s’est travestie de couleurs locales qui se veulent séduisantes ».
Enfin, elle ne manque pas de régler son compte à la valorisation de la mort et du martyre par les djihadistes. Décortiquant les occurrences coraniques de la notion de qitâl (combat armé entre deux adversaires), elle en déduit que celui-ci n’était qu’un dernier recours dont le risque devait être mesuré. Dans un monde où il était capital d’assurer la survie du groupe, d’éviter son affaiblissement par la diminution de ses forces, « le meilleur combat est celui où la victoire remportée n’implique pas ou très peu de morts d’homme, qu’il s’agisse de soi-même ou de ses adversaires ». D’où elle conclut : « Faire le choix de mourir pour Dieu n’a donc aucun sens… Tuer les hommes d’un groupe adverse de manière inconsidérée ou gratuitement massacreuse constitue une transgression majeure », alors que la négociation qui permet d’éviter le combat est un don de Dieu.
De même, en restituant le sens concret que le mot « charia » avait au VIIe siècle pour un Bédouin, « point où l’eau affleure et où le troupeau peut s’abreuver », elle montre qu’il n’a rien à voir avec la prétendue loi divine, élaborée plus tard, que cherchent à imposer les tenants les plus radicaux de l’islam politique.
D’autres termes coraniques sont analysés avec la même rigueur philologique, sans que leur évolution postérieure soit niée. C’est ce travail sur la langue qui permet à l’auteure de proposer de nouvelles clés de lecture du Coran.

L’alliance, la guidance et le don

Trois notions sont pour elle les piliers originaires de ce que deviendra l’islam : l’alliance, la guidance et le don. L’alliance renvoie aux rapports de solidarité entre hommes de tribu ou dans leur lien avec la divinité protectrice ; la guidance, au guide fiable et à la bonne route à suivre dans le désert pour ne pas s’y perdre et garantir la survie du groupe ; le don, au devoir de partage, selon les moyens de chacun.
En accordant une telle importance à ces trois fonctions qui structuraient la société d’alors, Jacqueline Chabbi leur confère un rôle fondateur. Ainsi, elle ramène les cinq piliers traditionnels à ce qu’ils sont historiquement : une construction après-coup, qui « déréalise l’islam en l’inscrivant dans une religiosité intemporelle ». Ce faisant, elle a conscience que son approche critique – comparable à celle qui a été adoptée depuis longtemps pour le judaïsme et le christianisme – ne peut se faire à l’intérieur du monde musulman sans heurter l’opinion ni s’attirer les foudres des responsables religieux et politiques.
Ruth Grosrichard est professeure agrégée de langue arabe et de civilisation arabo-islamique à Sciences Po Paris et contributrice pour « Le Monde Afrique ».



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